jeudi 7 avril 2011

Suer du front

Depuis que je vous cuisine avec ce blog, je n'ai pas encore songé à vous prendre par là où c'est vraiment efficace: par le ventre. Peut-être fallait-il que je me laisse le temps de goûter un peu à tout avant de pouvoir cracher le morceau, je ne sais pas. Je n'ai pas encore tout essayé, mais je crois être en mesure de mettre la table pour vous. Je vous servirai une deuxième portion si le besoin s'en fait sentir.

Pour être honnête, je pensais trouver mon assiette un peu fade et ennuyante en Ayiti. J'imaginais le menu ayisien comme une longue et fastidieuse répétition qui avait tout pour me démotiver la fourchette et pour tuer Michel Montignac une deuxième fois — pain, patates, pâtes. Il est clair que Michel Montignac mourrait probablement de la diète ayisienne, mais pas pour les raisons que je m'étais imaginées!

Ses yeux d'enfant obèse auraient peut-être au contraire craqué pour la cuisine d'ici, très grasse et très salée. J'ai même entendu un médecin, à ma grande surprise, dire que le régime d'un Ayisien moyen est plus salé que celui d'un Nord-Américain tout aussi moyen — moyen dans le sens de moyenne, pas de tour de taille, évidemment! Bref, on parle de beaucoup de friture et de beaucoup de sel.

Seulement, si on peut racheter la mise un brin, il faut dire que le sel consommé ici est ajouté lors de la préparation de ces derniers, ni dans une perspective de conservation des aliments, ni dans des processus de transformation des aliments «préparés» [avec sel mais sans amour] que l'on retrouve [en trop grande quantité] chez nous.

Je vous entend me demander de passer au plat de résistance — on mange quoi en Ayiti, Émilie?!

J'y viens, j'y viens, juste le temps de vous dire que la cuisine ayisienne est savoureuse. Sans être trop épicée, elle est bien relevée et assaisonnée avec générosité. En fait, la cuisine ayisienne résulte d'un mélange d'influences : une part de cuisine française, une part d'influences africaines, une pincées de  nostalgie taïnos (arawaks). Quelques dérivés de cuisines étrangères sont également venus s'intégrer à la casserole ayisienne au fur et à mesure que les commerçants — arabes, par exemple — venaient s'installer au pays.

Bon. Protéinons un peu. On mange beaucoup de viande. Il y a presque toujours de la viande, en fait. De la viande, ou du poisson. On mange beaucoup de poulet. De la «poul peyi», de la poule d'ici, qui est soit disant plus ferme et qui a soit disant un goût différent en lien avec une diète différente composée des moyens du bord (je suis prête à y croire, mais je ne goûte pas vraiment la différence..), et de la «poul blan», du poulet d'étranger — qui peut venir d'aussi proche que de la République dominicaine. Le poulet est souvent servi en sauce, particulièrement avec la «sos kreyol», qui contient tomates, persil, thym, basilic, ail, oignons, poivrons verts, échalotes, oignons, carottes, une grande quantité de beurre et beaucoup de petits piments traîtres (que j'aime bien mais qui me font suer du front!).

On mange aussi du boeuf, le plus souvent mijoté. Les viandes sont pratiquement toujours servies en sauce, dans laquelle on peut voir se dédoubler le gras... On prépare la chèvre — «kabrit» — de la même manière. De la chèvre, on fait aussi le «tassot», un plat de «kabrit» frit dans l'huile végétale, qu'on aura préalablement fait mariné dans du jus d'agrumes (oranges et citrons — les citrons jaunes n'existent pas ici, et on confond donc lime et citron) et des échalotes.  Le tassot est généralement servi avec la «sos ti malice», dont les ingrédients de base sont le beurre, le jus de lime, les oignons et l'ail émincés finement et les fameux piments-qui-font-suer-du-front.

Parlant de gras, qui vient en Ayiti ne peut passer à côté du «griot», et ce, même si sa diète le proscrit! Le griot ressemble un peu au tassot, mais est généralement concocté à base de porc. Donc, à mariner, des cubes de porcs — avec le gras et la peau s'il vous plaît! — avec jus de citron (lime, encore), jus d'orange, échalotes, oignons, ail, thym, sel et poivre, et les petits piments-qui-n'ont-l'air-de-rien-mais-qui-font... — les plus funky ajoutent du vieux rhum aussi. À partir de là, c'est le même principe que pour le tassot: on plonge les morceaux de porc dans de l'huile végétale brûlante, jusqu'à ce que ça soit croustillant. (Je crois qu'on peut préalablement opérer une première cuisson pour éviter de carboniser le tout en plongeant la viande dans l'huile chaude et avoir une cuisson moins rosée.)

Au tour des poissons, maintenant — qu'on sert parfois au déjeuner. Au chapitre des poissons, il faut parler du poisson gros sel. Le poisson gros sel est un poisson entier qu'on fait cuire, euh, avec du sel?! Sans rigoler: beurre, jus de citron, piments-qui..., oignons, poivrons, échalotes, clou de girofle, persil, un peu de vinaigre, de l'eau, du poivre et du gros sel au goût. On fait d'abord mariner le poisson avec citron, piments, échalotes, épices, vinaigre. Puis on prépare un court-bouillon avec l'eau, piments, céleri, oignons, poivrons et citron, qu'on porte à ébullition et auquel on ajoute le beurre une fois que c'est fait. On plonge les poissons — ils sont habitués — avec la marinade et ne fois qu'ils sont cuits, on les retire et on les réserve. On ajoute un peu de beurre — oui, encore — et on laisse mijoter la sauce, dont on arrosera le poisson au momemt de servir.

Toutes ces belles recettes sont normalement accompagnées de riz. Du riz blanc, diri jon jon — riz qui devient noir à force de cuisson avec un champignon dont je n'ai pas encore percé le mystère — ou diri kole — tous les riz préparés avec n'importe quel légume, le plus souvent des haricots. Les riz sont souvent servis avec la «sos pwa», une sauce assez épaisse préparée avec des haricots rouges le plus souvent, mais parfois avec d'autres variétés de pois, mélangés ou non (pois blancs, pois congo, etc).

Parmi les accompagnements, on trouve aussi les «banann pézé», bananes plantain frites par deux fois, qu'on prend grand soin d'écrapoutir généreusement entre deux fritures. Il y a aussi les «accras», préparés avec le malanga, une tubercule qu'on réduit en poudre et qu'on mélange avec ail, persil, piments-qui..., échalotes, sel, poivre, parfois un peu de morue cuite. (Certains ajoutent de l'oeuf ou de l'eau pour lier la préparation.) Devinez la suite? Bingo, la friture.. Plus sain, mais tout aussi décapant: le «pikliz», salade de chou à base de vinaigre et de.. piments-qui-font-suer-du-front!

La soupe giraumon (courge ressemblant au potiron, à la citrouille) est également typique. C'est la soupe de l'indépendance. Tout le monde en mange le 1er janvier, paraît-il. Grosso modo, c'est un potage de giraumon auquel on peut ajouter de la viande, des morceaux d'igname, de carotte, de chou, d'oignon, de pomme de terre... Certains la servent aussi avec des pâtes alimentaires. Mais toujours, elle est bien relevée avec... (vous avez compris le principe...)

***

Bien sûr — si on a encore faim! — on mange aussi beaucoup de fruits, selon la saison. Pour illustrer la chose, je peux dire que dans la cour de la famille où je vis, il y a des arbres à : mangues, bananes (fig banann et banann plantain), cerises (une variété différente de celle qui pousse chez nous, plus fibreuse et plus sûrette, avec laquelle on fait de l'excellent jus!), mandarines, citrons, oranges, chadèques (genre de gros pamplemousses), noix de coco, amandes, avocats (je dois en oublier..). On mange aussi des ananas, du melon d'eau, de la papaye, du corossol, des fruits de la passion, de la canne à sucre,  de la goyave, de la pomme grenade, etc. De tous ces beaux fruits, on fait aussi des jus délicieux, souvent très sucrés par contre — les Ayisiens ont tendance à abuser du sucre — et des cocktails enivrants à base de très bon rhum (le Barbancourt).

***

Quoi d'autre? Des anecdotes culinaires me viennent en tête — euh, on mange des spaghettis pour déjeuner?! — mais il se fait un peu tard. Je vous laisse digérer et je vous reviens bientôt avec des photos et de plus amples recettes de «manje kreyol».

2 commentaires:

  1. Il ne manque que le poisson boucané. On règlera le tout la semaine prochaine.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai goûté au crabe boucané à la plage — c'était très bon! —, mais pas encore au poisson! Le rendez-vous poisson est à mon agenda!

    RépondreSupprimer