mercredi 30 mars 2011

Girls just want to have fun! (2)

Le regard n’est pas toujours facile à soutenir à Port-au-Prince. Le spectacle dont nous sommes témoins tous les jours est parfois désolant, souvent troublant et nous renvoie toujours à notre petit confort indécent d’Occidentaux. Les moments où l’on peut oublier cette misère quotidienne sont rares et on apprend vite à en jouir au maximum lorsqu’ils passent. Hier soir, c’était l’un de ces moments où l’assèchement de nos humeurs aqueuses d’«expats» était directement proportionnel à notre incrédulité de voir Arcade Fire s’offrir à nos 400 yeux au mythique hôtel Oloffson. Vrai comme chus là!

La rumeur circulait tout bas depuis quelques jours. Des pancartes fluo minimalistes étaient disséminées dans la ville, annonçant le grand retour de RAM — un band de musique vaudou/transe qui se produit normalement tous les jeudis soirs à l’Oloffson, dont le chanteur Richard A. Morris est propriétaire — avec un «artiste invité canadien»… 

*** 
«  C’est qui tu crois?
   Dans mes rêves les plus fous, Arcade Fire?!!
   Heille, ça serait malade..! J’peux pas croire… Cette pensée folle m'a effleuré l'esprit aussi. Mais non, attends, ça se peut pas..»

La veille du spectacle, je téléphone à l’Oloffson pour de plus amples informations — je sais pas comment j’ai réussi à avoir la ligne, ça répond jamais!

«  Ouin, j’ai vu des affiches pour le spectacle de demain.
   Oui…
   J’aimerais savoir, qui est l’«artiste invité canadien»?
   Euh, pouvez-vous rappeler dans deux minutes, je vais aller m’informer..
   Pas de problème, mèsi anpil.
   […]
   Ouin, c’est encore moi, alors, cet «artiste invité canadien»?
   Arcate Fwire.
   Vous avez bien dit Arcade Fire??! Non, c’est sérieux??!
   Euh, oui, c’est ça, Arcade Fire.
   Malade, je suis vraiment excitée! C’est à quelle heure? On peut réserver? Qui jouera en premier? Vous êtes certaine, vous avez bien dit Arcade Fire?
   Oui, oui. Ça commence vers 8-9h.Vous voulez réserver?
   Mets-en! Je vous aime, madame!»

***

J'ai passé l'après-midi à attendre à l'Oloffson pour une éventuelle entrevue avec le groupe — et à dicter mon fond de texte au téléphone à Montréal (on fait du journalisme de brousse ou on en fait pas!). L'endroit est charmant et décontracté. C'est l'un de ces rares bâtiments portauprinciens qui serve encore d'exemple pour illustrer le style architectural «gingerbread», proche cousin du style victorien avec ses dentelles de bois, ses lucarnes et ses galeries caractéristiques de la fin du XIVe siècle. C'est aussi là qu'a été tourné le film The Comedians avec Elisabeth Taylor et Richard Burton. Bref, pour plusieurs raisons, c'est un incontournable du quartier de Carrefour-feuilles — Le Nouvelliste rapportait récemment que ces morceaux de patrimoine sont par ailleurs en péril, une cinquantaine d'entre eux ayant été endommagés par le séisme sur un total de 204 bâtiments.

Jusqu'à 18h30-19h, j'ai donc eu le temps de me poser plusieurs questions, en plus d'explorer les lieux d'un oeil intéressé, l'autre étant fixé sur le lobby à l'affût de l'arrivée de Régine Chassagne, des frères Butler et de leurs acolytes. Puis, je me suis pincée quand un minibus est arrivé, avalant de travers une bouchée d'accra. Je me suis pincée encore quand j'ai vu les huit membres d'Arcade Fire débarquer du véhicule et saluer les curieux agglutinés autour d'eux. Et je me suis re-repincée quand je les ai vus installer eux-mêmes leurs instruments sur une scène à hauteur du plancher qui allait bientôt devenir le centre de l'attention. C'était vrai, ils étaient là. Et «fullband», en plus.

Mais pas d'entrevue. On garde ça entre nous. On ne sent pas le besoin de publiciser la chose... On comprend, les amis, «pa gen problem». Merci d'être là, tout simplement!


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Le spectacle était magique. Ils ont joué presqu'une heure et demie sous nos yeux satisfaits et incrédules, qui ne se croyaient pas eux-mêmes. Le clou a bien sûr été l'interprétation de la chanson Haiti, en toute fin de séance, juste avant un court rappel. Il était temps de les laisser filer. La première partie était terminée. Après tout, ils étaient venus, eux-aussi, pour voir RAM jouer chez eux!

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À la sortie, les putes de luxe se sont chargées de ramener nos yeux sur terre...
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Je vous fais un cadeau. Mon collègue Jean-François Labadie a capté quelques bouts du spectacle en vidéo, dont une reprise de Girls Just Want to Have Fun, de Cyndi Lauper. Il a accepté gentiment de me céder ce bout de film. Merci JF!

Et désolée pour la compression..


Girls just want to have fun!

Les rumeurs ne se concrétisent pas toujours en Ayiti. (Ça ne paraît pas, mais j'apprends!) Mais cette fois, c'était vrai! Arcade Fire était bel et bien à Port-au-Price ce mardi soir pour une prestation au mythique hôtel Oloffson — lieu de tournage du film Les Comédiens, avec Richard Burton et Elisabeth Taylor, et tiré du roman de Graham Greene.

J'veux pas faire chier, mais c'était malade! 

Et la soirée s'est poursuivie avec RAM, un band de vaudou/transe qui occupe normalement les lieux le jeudi soir.

Vraiment, Port-au-Prince, tu ne cesseras jamais de me surprendre!

dimanche 27 mars 2011

Sortir la fille du bois...

Frontière Ayiti/République dominicaine...
Ayiti signifie «pays de montagnes». Jadis, ces plis terrestres étaient recouverts de forêts denses et luxuriantes, où poussaient ébène, acajou et autres essences de bois nobles, au grand profit des colonisateurs français qui importaient également depuis Saint-Domingue autant de café, de canne à sucre et de rhum aux saveurs d'esclavagisme. Aujourd'hui, le couvert forestier ne représente plus qu'un maigre 2% — contre 80 % du territoire de l'île d'Hispaniola au XVe siècle —, ce qui n'est pas sans effets sur l'érosion des sols, sur la détérioration de terres arables et sur la qualité et la disponibilité de l'eau, entre autres...

Le désastre écologique de la déforestation de l'île défraie la chronique depuis longtemps déjà — le phénomène se serait accéléré depuis une trentaine d'années. Avec l'appauvrissement de paysans déjà pauvres, il s'en trouve même pour dire que les Ayisiens ont mangé leur forêt, forcés à défricher pour cultiver des plantes maraîchères et faire un peu de place au bétail.. au grand détriment de ce qui était autrefois un paradis de biodiversité. D'autant plus que la forêt est dans des proportions infinimum protégée par un État qui manque de ressources pour la surveillance, ce qui encourage les gens à se servir comme dans un buffet ouvert — Richard Desjardins, vous cherchiez une destination soleil?

«Au début, bien avant l'indépendance haïtienne en 1804, c'est l'exportation massive d'acajou flamboyant et autres bois précieux vers l'Europe qui a mis à mal nos forêts, dit Jean-Robert Julien, directeur général du Réseau d'enseignement professionnel et d'interventions écologiques. Depuis 30 ans cependant, ce sont la pauvreté des habitants et l'utilisation des forêts pour le bois de cuisson qui font le plus de mal», poursuit-il dans un article de UdeM Nouvelles, le portail d'information de l'Université de Montréal.

Dans un éditorial du Nouvelliste, Frantz Duval évoquait ce weekend les quatre cavaliers de l'apocalypse — la métaphore catholique marche fort ici! — pour expliquer la dilapidation de la ressource. Bwa pin, bwa bale, bwa di et chabon bwa, en raison de leur très grande utilisation dans la vie quotidienne, rendent donc difficile l'inversion de la situation sans un changement de mentalité à 180 degrés. 
Petit commerce de «chabon bwa».

Selon le rédacteur en chef du Nouvelliste, «bwa pin» (le bois de pin) est utilisé par 80 à 90% des familles ayisiennes comme accélérateur de feu pour allumer les foyers de charbon de bois. 

Le «bwa bale» (bois balai), comme son nom l'indique, sert quant à lui principalement à fabriquer des balais. Le hic, c'est que les arbres utilisés pour confectionner ces balais sont des jeunes plants — pour des raisons de tailles adaptées à toutes les mains —, ce qui cause évidemment préjudice pour le renouvellement de cette espèce. «Un bwa bale ne sert qu'une fois. Pas de recyclage ni de réutilisation. Chaque ménage a un, deux, des fois un plus grand nombre de balais pour nettoyer [...] Par mois, par an, ce sont des millions d'arbustes qui sont sacrifiés, transformés en balais.»

Vient ensuite le «bwa di» (le bois dur), qui sert pour sa part principalement au renforcement des structures de construction bétonnées et pour la constitution des échafaudages. Encore une fois, il est la plupart du temps utilisé une seule fois, les échafaudages étant toujours à refaire pour s'adapter au terrains protéiformes.. Dans le meilleur des cas, ces échafaudages finiront leur cycle de vie en bois de chauffe...

Le dernier et non le moindre de ces quatre cavaliers de l'Apocalypse est le «chabon bwa» (charbon), utilisé par la majorité pour la cuisson des aliments et d'autre part pour des usages préindustriels — «boulangerie, nettoyage à sec, transformation de canne à sucre, etc». «Bon an, mal an, 300 000 tonnes de charbon de bois, dont la production nécessite l'abattage annuel de 1,5 million de tonnes de bois debout, sont employées dans ce pays où, contrairement à son voisin hispanophone, la filière du gaz naturel n'existe pas», selon UdeM Nouvelles.

Frantz Duval conclue sa volée de bois vert — justifiée — par certaines pistes de solutions. Remplacer le «bwa pin» par des accélérateurs de feu chimiques. Remplacer par le plastique, le métal, voire le bois réutilisable le «bwa bale». Inonder le marché d'étais métalliques pour tuer la demander en «bwa di». Ou encore utiliser des produits de substitution pour remplacer le «chabon bwa».. Bref, il demande au peuple un effort monétaire surhumain dans des conditions plus qu'inhumaines.. Tant que la logique économique mènera le monde, on peut s'attendre au statu quo..

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Révolution ayisienne — 22 août 1791-1er janvier 1804
Il ne faut pas oublier non plus que la première république noire a cher payé son indépendance... Proclamée le 1er janvier 1804  par Jean-Jacques Dessalines aux Gonaïves, l'indépendance de la colonie de Saint-Domingue ne sera reconnue par la France que 21 ans plus tard, en 1825. Et moyennant des «dommages et intérêts» de 60 millions de francs-or pendant 30 ans (l'équivalent de 33,8 milliards de dollars américains d'aujourd'hui) — lesquels seront assurés par un prêt contracté auprès... des banques françaises (!) — ce qui plongea le pays, dès sa naissance, dans la spirale de l'endettement... Le déboisement se poursuivra donc pendant des décennies pour que dû soit payé aux autorités françaises. Ce qui fait en sorte qu'aujourd'hui, ils sont plusieurs à penser que la France est redevable envers Ayiti...

Se pa fòt mwen..

En Ayiti, c'est jamais la faute de personne. Il existe toujours une «excellente» raison pour justifier sa non-implication dans les conséquences de ses actes. Les retards, les faux-pas, les promesses non tenues et les absences sont donc monnaie courante et l'imagination déployée pour les justifier les rend doublement pénibles... «Se pa fòt mwen», qu'ils disent...

J'ai déjà écrit auparavant que le «oui mais» est le paradis fiscal de l'examen de conscience. Je mesurais à peine l'étendue de mon propos... S'il est absolument faux de considérer Ayiti comme un paradis fiscal — les barrières à l'investissement étranger sont multiples (droits de douanes exorbitants, procédures administratives pesantes, instabilités politique et sociale, et compagnies d'assurances peu fiables, notamment) et les secteurs financier et bancaire souffrent de sous-développement chronique — au chapitre de l'examen de conscience, le «oui mais» est roi et maître!

Je vous entends demander des exemples. Une employée attendue à 7h du matin s'est pointée vers les 9h30 un jour important.. «Oui, mais j'habite près de l'aéroport. Oui mais, ma voiture est en panne depuis hier (elle a pas d'permis!). Oui mais l'ami qui venait me chercher est arrivé en retard. Oui mais le blokis...» Je la soupçonne de s'être inventé un chien pour avoir mangé son devoir civique! Et rigolant en créole pour que «blan» ne comprenne pas le reste...


«Ah, pis laisse faire..!»

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Où je veux en venir? Là où je croyais naïvement trouver solidarité et entraide, je trouve chacun-pour-soi et individualisme marqué. Là où je croyais trouver regroupement social autour de points rassembleurs, je trouve 9 millions de communautarismes épars et silencieux, toujours prêts à revendiquer pour leur paroisse. Mosaïque morcelée, faïence de faux-fuyants éclatée sur le sol.. «Se toujou pa fòt mwen», ça s'est brisé tout seul...

Bien sûr, il y a la liberté d'exception. J'y reviendrai.

mardi 22 mars 2011

Rectifier le tir

Wyclef ne s'est pas fait tirer dessus à la veille des élections! La police, à qui il a lui-même refusé tout témoignage, a fait son boulot — on peut la féliciter! — et est allée interroger le médecin qui a pansé les blessures du rapper-wannabe-president-en-attendant-j'appuie-le-clan-Martelly..

L'éraflure de Wyclef à la main droite aurait plutôt été causée par des éclats de verre.. Ça résume à peu près là où je voulais en venir à propos de la vérité en Ayiti — et dans beaucoup d'autres lieux, qu'on se le dise.. Quand la rumeur est à son avantage, pourquoi s'empresser de la démentir?

Pour davantage de détails sur la relation houleuse de Wyclef Jean avec la vérité, il faut lire l'entrée du New-Yorkais Village Voice sur la question. La photo de Wyclef qui «souffre» sous observation à l'hôpital démontre par ailleurs jusqu'où peuvent aller les choses.. Je me permets de la reproduire.

Manipulation médiatique à la veille des élections? Mauvaise volonté? Erreur journalistique? Je vous laisse le soin de juger, toute vérité n'étant pas bonne à dire, à voir, ou à entendre, selon le point de vue...

La première fois: montre-moi ton pouce..

Les «observateurs électoraux» observent, Croix-des-Bouquets.
C'est ma première fois. Oui, oui, ma première fois. Enfin, qu'on se comprenne, la première fois que j'ai la chance d'observer un processus électoral dans un autre pays que le mien — enfin, les miens, mais c'est une histoire compliquée que celle du Québec dans le Canada et ce n'est pas ce dont il est question ici... (pour une fois)!

Le processus électoral, depuis un mois que je suis en Ayiti — mais depuis bien plus longtemps avant mon arrivée — domine les bulletins de nouvelles, les conversations et alimente la rumeur amplement.  L'ancien président et mari de Mirlande Manigat, Leslie Manigat, a ainsi été considéré comme malade/à l'article de la mort/mort jusqu'à ce qu'il se présente aux urnes dimanche. Le fantôme de Jean-Bertrand Aristide est arrivé en Ayiti bien avant lui. Et Wyclef Jean s'est bien fait tirer dessus, mais il n'aurait qu'une petite éraflure à la main droite et le mystère demeure[ra] entier quant à qui a bien pu perpétrer une chose pareille, le principal intéressé ayant refusé tout témoignage — à la police, entre autres...

Normal, ici, du quotidien. On apprend en très bas âge à laisser planer le doute à son avantage ou à s'exprimer haut et fort sur les bonnes tribunes en guise de démenti.

C'est aussi un pays où l'on ne cause jamais température puisqu'il fait toujours beau. On ne cause pas non plus de la misère, puisqu'on les vit et qu'on la voit sans qu'on ne la vote jamais, à tous les coins de rue. Alors il faut bien trouver de quoi alimenter les conversations de tous les jours...

Tout ça pour dire que tous les Ayisiens, processus électoral en cours ou non, ont une opinion sur la chose politique. Des analyses fines aux raccourcis les plus abjects, tous les styles sont représentés dans le spectre de l'opinion publique. Brandissez un micro dans la rue ou baladez-vous avec une caméra-photo moyennement sophistiquée et l'on vous arrêtera pour vous demander: «Ou jounalis?», le prends-moi en photo dans les yeux et la langue qui n'attend que le point d'interrogation pour se délier (on reste poli, tout de même!). Au chapitre de la faconde, les Ayisiens sont en fait plutôt doués, un grand nombre d'entre eux étant des tribuns assez captivants.


Mais malgré le fait que tous les Ayisiens aient une idée arrêtée sur la chose et qu'ils soient capables de l'exprimer de façon assez claire et imagée, avec juste ce qu'il faut d'intensité pour être considérés comme de bons orateurs, ce qui demeure pour moi difficile à comprendre, c'est le calme plat qui a caractérisé la journée historique du dimanche 20 mars. Pratiquement aucune voiture dans les rues alors que les embouteillages et les klaxons sont la norme. Des gens tirés du lit très tôt — et à quatre épingles s'il-vous-plaît — pour aller à l'Église plutôt que pour exercer leur droit civique. Bien sûr, il y avait bien quelques fidèles pour se rendre aux urnes. Mais pas d'embouteillage de ce côté non plus: en cinq minutes, dans les bureaux où le matériel ne faisait pas défaut et où le processus n'a ainsi pas été retardé (il faut dire que certains bureaux n'ont ouvert que trois à quatre heures après les 6h AM prévues), on pouvait apposer une croix dans la case de son choix. Et le Conseil électoral provisoire s'est même enorgueilli, sans avancer de chiffres précis, de ce que les citoyens aient exercé leur droit de vote de façon plus marquée qu'au premier tour de novembre qui avait enregistré un anémique taux de participation de 22,87% — premier tour caractérisé par beaucoup plus de turbulence, toutefois.
Le pouce de Mika, après qu'elle eût déposé son bulletin de vote.


Bref, chien qui aboie ne mord pas tellement fort en Ayiti. Et bien que rien ne soit encore définitif, ce n'est pas la caravane qui est partie pour passer...

***
Voilà pourquoi j'ai demandé à tout le monde aujourd'hui de me montrer son pouce, marqué ou non de l'encre indélébile qui sert à éviter qu'on aille voter deux fois — ce que certains ont tout de même réussi à faire, semble-t-il. Montre-moi ton pouce, je te dirai qui tu es...

dimanche 20 mars 2011

Wyclef Jean atteint d'une balle avant l'ouverture des bureaux de vote.. ça promet!

La star internationale du hip hop, Wyclef Jean, qui est en Ayiti pour soutenir le candidat Michel Martelly a été atteint d'une balle à la main samedi soir, quelques heures avant l'ouverture des bureaux de vote. Selon le message Twitter de ses représentants, il serait toutefois pris en charge et hors de danger — «We have spoken to Wyclef, he is OK. Thank you for your thoughts and prayers.»

Selon le Huffington Post, l'incident est survenu dans le quartier de Delmas, après 11h samedi soir. L'article stipule que son frère Samuel et le directeur de sa fondation Yele, Joe Mignon, confirment la nouvelle. Wyclef serait déjà sorti de l'hôpital..

Les bureaux de vote sont ouverts depuis 6h ce matin et des irrégularités ont déjà été observées — les bulletins de vote au Lycée de Pétionville sont ceux du vote du Sénat de 2009, par exemple, et certains bureaux n'ont qu'une seule boîte de scrutin pour contenir les bulletins de la présidentielle ET des législatives..! Un début de manifestation aurait été observé, selon HPN. Du nouveau matériel est cependant déjà arrivé sur les lieux, toujours selon l'agence Haïti Press Network (HPN)...

Aux Gonaïves, les listes électorales à l'extérieur et à l'intérieur des bureaux de vote sont différentes, ce qui fait en sorte que des électeurs inscrits pestent contre le Conseil électoral provisoire (CEP), déjà bien malmené en cette journée historique. (HPN)

La police nationale et les soldats de la MINUSTAH surveillent étroitement les bureaux de vote, afin de contenir d'éventuelles escarmouches et de s'assurer que le scrutin se déroule dans le calme.

Plus de nouvelles à venir...


samedi 19 mars 2011

Surréalisme starmaniaque

L'arrière-scène, le Parc historique de la Canne à sucre.
Vendredi soir, la Francophonie célébrait la journée internationale de la Francophonie — normalement organisée le 20 mars, mais scrutin oblige, les célébrations haïtiennes ont été devancées de deux jours — au Parc historique de la Canne à sucre, à Port-au-Prince.


Billets promotionnels en poche — des représentants de la Francophonie logeaient au Montana en même temps que moi plus tôt cette semaine, que le monde est petit en Ayiti! — et collègue consultant curieux en accompagnement, on arrive beaucoup trop tôt pour la représentation. Ça nous donne du temps pour visiter les lieux de la distillerie originale du réputé rhum Barbancourt. On s'imagine la chaleur que les esclaves enduraient à proximité des cuves pour produire le célèbre nectar, sous les ordres sévères des colonisateurs français. Le poète Olivier Laplanche a par ailleurs très bien résumé la lourdeur que pouvait représenter ce travail forcé : «Sucre blanc empreint du sang rouge des esclaves noirs, saveur sucrée au goût amer pour les opprimés»...

On visite juste le temps d'éprouver un petit malaise quant au lieu que la Francophonie a choisi pour célébrer sa journée internationale de... Mais c'est parce que nous sommes un peu cyniques..!

***

Le spectacle finit par commencer, en plein air, avec des fleurs qui tombent des arbres et qui font penser à la neige. C'est joli. C'est monté comme une comédie musicale. Des petits bouts de théâtre reliés avec les plus grands succès de la chanson française. — Aznavour, Cabrel et mon plaisir coupable: Dalida! Dans le contexte, les paroles sont parfois lourdes de sens et renvoient à une réalité toute autre que celle dans laquelle elles ont été pensées. Charles Aznavour ne me fait soudainement plus le même effet quand il crie «famine» depuis Montmartre, qu'il ne mange «qu'un jour sur deux» et qu'il a le «ventre creux» dans La Bohème...

Haïti en scène, tout sourires après le spectacle
Les comédiens/chanteurs/danseurs de la troupe Haïti en scène — ils sont connus à l'étranger, sont déjà venus nous visiter à Montréal et à Québec et sont localisés à Port-au-Prince et en France simultanément — offrent une prestation assez intéressante devant une assistance malheureusement peu nombreuse. On peut penser que l'incertitude reliée aux réactions face au retour d'Aristide et les embouteillages port-au-princiens y sont pour quelque chose..

Le collègue et moi, on tombe de notre chaise quand la chanteuse ayisienne Netty entonne La complainte de la serveuse automate! S'en suit un pot-pourri de Starmania adapté par moments à la sauce créole alors que les danseurs chorégraphient la chose avec un synchronisme impressionnant : Le monde est stone, Ce soir on danse à Naziland, Le Blues du businessman, La Chanson de Ziggy, tout y passe! C'est assez surréaliste, merci!

Ce fut donc une très belle soirée, le temps de s'évader un peu du boulot et surtout d'oublier les remous politiques qui ont retenu l'attention cette dernière semaine. Demain dimanche, on s'y remet forcément, de toute façon! Au menu, vote avec les parents ayisiens, visite à Jean-Bertrand en passant et petit tour à Radio-Métropole si on a le temps..

jeudi 17 mars 2011

Le vacarme électoral

Une baderole de la Fondation Aristide pour la démocratie (sic!)...
Si le ton du deuxième tour de la présidentielle ayisienne n'a pas cessé d'augmenter depuis le houleux débat entre les deux candidats mercredi dernier, l'annonce du retour d'exil imminent de Jean-Bertrand Aristide pourrait bien contribuer à installer un climat encore plus tendu d'ici à dimanche, jour du scrutin. De quoi dissuader les 4,7 millions d'électeurs de se présenter aux urnes...

«Titide» a quitté l'Afrique du Sud hier — en jet privé, avec sa femme ses deux filles et... l'acteur Danny Glover (La couleur propre, L'arme fatale et Quoi encore?! (un film que je suis en train de réaliser!)) —, ignorant les réticences exprimées haut et fort par les États-Unis et la France, et plus bas par une foule d'autres membres de la communauté internationale. Deux jours avant le scrutin, donc, comme pour jeter de l'huile sur le feu d'un weekend qui s'annonçait déjà chaud. 

«Le grand jour est arrivé», a déclaré Aristide [en zoulou et en grand populiste] devant des journalistes, remerciant le gouvernement sud-africain, le président Jacob Zuma, l'ex-président Thabo Mbeki, «notre cher Madiba» (Nelson Mandela) et ses «frères et soeurs d'Afrique du Sud»... (Le Nouvelliste)

Le grand jour, oui. Comme si personne n'attendait les élections — le petit jour, par opposition?! Aristide dit ne pas vouloir intervenir dans le processus électoral et compte plutôt se consacrer à des tâches éducatives (il est docteur en langues africaines et enseignait depuis son exil à l'Université de Pretoria)... «Ma priorité, c'est d'investir dans l'humain et l'éducation»...

Aristide n'a actuellement appuyé publiquement aucun des deux candidats. Son avocat, a par ailleurs indiqué que ce dernier souhaitait se déplacer vers Ayiti avant les élections, de peur que l'éventuel élu tente d'empêcher ce retour attendu depuis sept ans par le prêtre et apôtre de la «théologie de la libération»... Son passeport diplomatique est par ailleurs émis depuis février.

Le Nouvelliste, 16 mars 2011
Le parti Fanmi Lavalas (l'avalanche, en créole, famille l'avalanche, en fait) déploie actuellement la machine pour accueillir «dignement» l'ancien président renversé par un soulèvement de l'armée et par des pressions américaines et françaises en 2004. La porte-parole du parti, Maryse Narcisse (est-ce qu'on peut considérer ce nom comme une blague, considérant le culte de la personnalité dont fait l'objet Aristide?!), est présente sur toutes les tribunes et a ardemment travaillé, avec son équipe, pour parsemer la route entre l'aéroport et la résidence d'Aristide — fraîchement repeinte en rose, la couleur de Martelly — de banderoles souhaitant bon retour à l'ex..

«Enfin, les carottes sont cuites, demain (vendredi) 8H00 dites le à tout le monde, à l'aéroport nous allons attendre le président TITID dans la solidarité», dit un tract en créole du parti... Un article du Nouvelliste qui vient de tomber prévoit l'arrivée de l'avion en provenance de Dakar pour les 10h du matin, heure locale... Ça va remuer demain à Portoprens!

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Les deux candidats à la présidentielle ont par ailleurs durci le ton de la campagne au cours de cette semaine, multipliant de part et d'autre les attaques contre l'autre clan, même s'ils se sont tous deux dits d'accord avec le retour au bercail d'Aristide pour autant que ce dernier n'intervienne pas dans la campagne. Les deux candidats ont également incité les partisans à investir les rues pour manifester leur appui à leur clan dès le lendemain du vote, et ce, en violation avec les articles 122.2 et 122.3 de la loi électorale interdisant formellement toute manifestations de rue en faveur d'un candidat jusqu'à la publication des résultats définitifs des élections. Le Conseil électoral provisoire (CEP) a par ailleurs rappelé que selon l'article 194 de la loi électorale : « Est puni d'une amende de cinq mille (5 000) à vingt cinq mille (25 000) gourdes et d'un emprisonnement de dix (10) à vingt (20) jours le fait de détruire les affiches de photos, de placards publicitaires relatifs à la propagande électorale » (Le Nouvelliste)

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Élections en vrac

-Jeudi, Martelly est allé courtiser les catholiques, les invitant à se recueillir dans la prière... juste avant de donner un concert aux accents hip hop et à la saveur locale aux Champs-de-Mars (parsemés de tentes depuix le séisme, faut-il le rappeler) avec pour invités RockFam, T-Vice, Ram, Black Alex, Shabba et nul autre que Wyclef Jean. (HPN)

-Le rapper américain Busta Rhymes, pourtant né à New York de parents d'origine jamaïcaine, saute aussi dans la mêlée et soutient le candidat Martelly... en participant au susmentionné concert aux Champs-de-Mars. (HPN)

-Martelly s'est par ailleurs fait lancer des roches et des bouteilles à Cité Soleil aujourd'hui.. (HPN)

-Un meeting de Manigat a été interrompu par des coups de feu tirés par des partisans de son adversaire ce mardi à Mirebalais, ce qui a fait sortir l'ex-première dame de ses gonds et l'a incité à décocher quelques flèches à l'endroit de son adversaire.. Martelly soutient que ces incidents sont le faits d'éléments désorganisés et qu'il n'est pas derrière ces violences. Des arrestations ont eu lieu.

-Manigat a finalement éprouvé plus de peur que de mal alors que son estrade s'est effondrée avant qu'elle ne commence un discours à l'occasion de sa tournée dans l'Artibonite à Liancourt mercredi... (HPN) Clôturant cette tournée du département à St-Marc, elle a déclaré la même soirée: «J’ai mal à l’épaule mais heureusement elle ne s’est pas brisée. Cela ne peut pas nous arrêter, nous tenions à honorer ce rendez-vous. Votre maman n’est pas au top de sa forme, mais elle n’a pas d’handicap.» (HPN)

-La campagne se termine officiellement vendredi soir à minuit, soit un peu plus d'une journée avant l'ouverture des bureaux de vote.

dimanche 13 mars 2011

Patrick Lagacé dans Le Nouvelliste

Le Nouvelliste, le vendredi 11 mars.
La chronique de Patrick Lagacé du jeudi 10 mars (Mirlande Manigat en tourisme électoral) a été reprise dès le lendemain en page 4 du Nouvelliste, journal publié à Port-au-Prince depuis 1898 — d'abord sous le nom Le Matin. 

Le texte porte sur la visite de la candidate à la présidentielle à Montréal la semaine dernière. Lagacé y exprime son incompréhension de la politique ayisienne et du comportement de Mirlande Manigat dans le dernier droit de la campagne qui l'oppose à Michel Martelly — la diaspora, aussi influente soit-elle n'a pas le droit de vote. L'ancienne première dame a donc non seulement profité de l'occasion pour courtiser les Ayisiens installés à Montréal et en Floride et leur dire qu'ils devraient avoir le droit de voter, à l'instar des Français ou des Canadiens hors pays, mais elle est également allée jaser financement avec des bonzes de l'industrie présents en Ayiti et soucieux de marquer des points dans la game de l'image.. International business, quand tu nous tiens.. 

En imaginant tel comportement répliqué au Québec («Imaginez une seconde que Pauline Marois, à deux semaines d'un scrutin, décide d'aller à Paris pour parler aux Québécois qui s'y trouvent. Imaginez qu'elle trouve le temps, disons, d'aller manger à la Tour d'argent avec des capitaines d'industrie français», écrit-il), Lagacé, qui a visité Ayiti à plusieurs reprises, tombe littéralement de sa chaise... Il est vrai que le tollé provoqué par l'hypothétique mimétisme comportemental de Miss Marois, qui a soit dit en passant quelques points en commun avec Mme Manigat, l'image bourgeoise difficile à faire avaler au peuple, notamment, serait grand. Mais il est quelque peu naïf de penser que les tractations de couloir n'ont pas lieu et pas d'influence dans le processus électoral québécois — le désintéressement citoyen et quelques commissions d'enquête ayant récemment prouvé le contraire.  C'est vrai, les choses s'opèrent chez nous à d'autres niveaux, loin d'être comparables, mais la trame  demeure la même. Quelqu'un a-t-il accès aux registres téléphoniques des chefs de parti qui font campagne au Québec? C'est peut-être les notions d'ombre — et de nombre, les Québécois hors-Québec n'ayant pas le même poids, même s'ils sont en moyenne plus lourds! — qui est culturellement différente. Et la manière de procéder...

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Fait cocasse, en terminant, et histoire de boucler la boucle sur la publication du texte de Patrick Lagacé dans Le Nouvelliste. Les références au texte d'André Noël sur la politique municipale et l'octroi de contrats d'asphaltage dans différents arrondissements, publié dans la même édition du quotidien de la rue St-Jacques en page A14, ont été conservées! Idem pour la flèche lancée à la Ligue nationale de hockey pour son inaction dans le dossier Chara/Pacioretty..  Le jour où les Portauprinciens cesseront d'être indifférents aux nids d'autruche qui garnissent leurs routes quand celles-ci sont pavées, et qu'ils joueront au hockey de surcroît, faites-moi signe, quelqu'un!!

Gagner du temps

Le bidonville de Jalousie toujours éveillé...
S'il y a une chose qui est particulièrement troublante en Haïti, c'est bien la gestion du temps. Il semblerait qu'il n'y ait pas assez de 24 heures dans une journée pour accomplir tout ce qui doit l'être — Henri Bourrassa, fondateur du Devoir, aurait été contraint de trouver une autre devise que «Fais ce que dois» pour son journal centenaire, qui serait probablement au moins deux fois plus vieux ici si l'on considérait la quantité de temps que les Ayisiens passent éveillés.

Environ 4h du matin, Cap-Haïtien, urgence hospitalière de type diarrhée-violente-qui-fait-étrangement-penser-aux-symptômes-du-choléra-et-ce-même-après-administration-d'un-sérum-oral-maison-et-d'antibiotiques-de-touristes-qui-ne-suffisent-pas-à-stopper-la-déshydratation. Visite obligée à l'hôpital départemental, donc, pour l'installation d'un sérum intraveineuse et plus de peur que de mal, finalement. 

Tout jour est-il [et ne dort pas beaucoup]. La deuxième ville en importance d'Ayiti s'active déjà. Les marchandes sortent fruits, légumes, vêtements, charbon, céréales et autres biens de la vie courante et du petit commerce, les «Jésus t'aime» fusent à grand coup de Nouveau Testament, les «bonjou» sont nombreux et réguliers et les vendeurs de «Digicel» — «le pi bon rezo» de téléphonie cellulaire — se relaient sous les parasols rouges qui s'ouvrent au petit jour qui ne point même pas encore à l'horizon.


Il faut rappeler qu'il est seulement 4h du mat' et que c'est samedi...

La semaine, les parents doivent se lever entre 4h et 5h pour aller reconduire les «ti-moun-yo» à l'école — le hip-hop est bien populaire en Ayiti, mais le «yo» créole renvoie plutôt à la forme plurielle du nom, ici «ti-moun», littéralement «petite personne», et par extension «enfant» —, qui commence généralement autour de 7h. Ils se lèvent si tôt en partie en raison du «blokis», cet embouteillage perpétuel, mais aussi de la distance qui les sépare de ladite école.. rarement de quartier. Souvent sans déjeûner, ces familles complètes partent donc en tap-tap, un trajet qui peut atteindre quelques heures — et oui, nous sommes toujours dans les limites de la ville.. En zone plus reculée, il est fréquent d'apercevoir les «ti-moun-yo», parfois seuls, circuler le long des routes, aventure parfois périlleuse, surtout lorsqu'il est question de franchir les routes sinueuses des montagnes qui parsèment le pays.

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Ce qui pousse à croire que les Ayisiens ne dorment jamais. On le confirme à leurs yeux petits, bouffis, et rougis par le manque de sommeil et le soleil ardent. Dany Laferrière parle de «zombis», en particulier dans Pays sans chapeau (parce qu'on n'a jamais vu personne partir pour ce pays hors du commun avec un couvre-chef) — qui réfère également au vaudou, religion-pays de l'au-delà, entre ça et là, entre morts, vivants et morts-vivants, et entre autres existences catupultées dans un jour avec lendemain seulement «si Dye vle». Étrange syncrétisme, soit-il. Et même s'il éveille les consciences, c'est avec quelques signes de fatigue qu'il s'exprime le mieux.
Au marché de Fort-Liberté, petite sieste d'après-midi.

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À propos des rendez-vous. Ça n'est pas comme si c'était important d'être à l'heure. «Twò prese pa fè jou louvri», dit le proverbe — être trop pressé ne fait pas se lever le jour, et/ou cela ne sert à rien de se précipiter...  Les Ayisiens passent tellement de temps à se rendre d'un lieu à l'autre qu'ils ont appris, avec le temps, à se servir de la vie courante (proposons marchante!) comme alibi. Le retard est rarement léger et doit être prévu dans l'aménagement d'un horaire. Un Ayisien, proportionnellement à l'importance de son titre, vous fera assurément attendre. Et ce, dans un sens comme dans l'autre, que vous alliez à sa rencontre ou qu'il vienne à vous. Le plus souvent, il se pointera — à date, il s'est toujours pointé! — mais Dieu seul sait quand... Il faut savoir que le temps peut aussi être instrumentalisé politiquement et que, malgré la montre à son poignet, l'horloge parlante sur son cellulaire et le soleil qui ne ment pas, rien ne permet de prévoir avec assurance l'arrivée d'un Ayisien.  «Oui, oui, je suis là, je suis presque arrivé.» Et lorsqu'il arrivera finalement, ce sera comme si de rien n'était, sourire fendu jusqu'aux oreilles, et «je suis content de te voir enfin» en prime. Apprendre à attendre, donc. Et par le fait même, apprendre un brin de sagesse ayisienne.

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Et ici, pas de changement d'heure. Comme nos téléphones et autres gadgets électroniques sont devenus «intelligents», je me suis donc réveillé, sans en être consciente, avec une heure d'avance. Résultat: une heure d'attente avant mon départ. Décidément, j'abandonne la partie. Je ne gagnerai jamais contre le temps ayisien...!

jeudi 10 mars 2011

Compte complet

Photo: http://haitibaseballs.com/ (courtoisie de Zack Hample)
Les statistiques économiques sont peu reluisantes. Un taux de chômage que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), reproduisant les données de l'Institut haïtien de statistique et d'informatique (IHSI) chiffre à 32,62% — même si des perspectives plus réalistes l'estiment plutôt entre 60 et 70%; une proportion de la population vivant en situation de pauvreté de 78%, qui descend à peine à 53,9% si l'on y acolle le qualificatif «extrême»; une activité économique basée sur les secteurs de l'agriculture (28,4 %), de l'industrie (16,6 %) et des services (55 %) — qu'il faut relativiser avec une proportion de 57,1% des emplois qualifiés d'informels selon l'Enquête sur l'emploi et l'économie informelle de l'IHSI; quelques mangues, du café, du cacao, du coton et autres produits agricoles en guise d'exportations, pendant que les importations constituent à peu près tous les biens de la vie courante — il faut voir les Ayisiens rentrer au pays en avion avec des biens manufacturés à haute innovation technologique pour comprendre. Et une réputation de république de bananes pour ajouter le cerise (importée) sur le sundae (importé aussi).

L'instabilité politique, la corruption, le manque d'infrastructures, la criminalité et la gouvernance ineffective sont autant d'arguments pour dissuader les investissements directs étrangers de venir flirter avec le soleil. 

Les choses n'ont cependant pas toujours été ainsi. Et pour illustrer la chose de façon un peu ludique, j'ai pensé renvoyer la balle sur un terrain de baseball — allez savoir pourquoi. Peut-être parce que la République d'Haïti a déjà été le premier producteur mondial des balles cousues main utilisées pour le sport national américain, et ce, jusqu'à ce que la multinationale Rawling's délocalise sa production au Costa Rica dans la turbulence qui a suivi le règne de Duvalier le bébé (Baby Doc, qui se pavane dans les grands restaurants de Pétionville en attendant la conduite de son procès en cours pour corruption, vol et détournement de fonds).

Un Américain peu ordinaire, conscient de l'importance pour le pays de relancer le secteur manufacturier et probablement un peu frappé par la nostalgie de ses souvenirs d'enfance passé au champ gauche, s'est donné comme mission de fin de carrière de faire des choses «utiles» («of value»). Il a ainsi comme projet de relancer l'industrie manufacturière de la balle de baseball en alliant deux de ses passions: le sport national et le commerce équitable. Le projet initié après le tremblement de terre compte sur les nouvelles technologies et les médias sociaux, l'appui du public (dans l'optique du «compassionate capitalism») et les possibilités offertes par la micro-finance — même si l'investissement personnel semble aussi être au rendez-vous — pour accomplir la lourde tâche.

Le projet semble être au beau fixe depuis novembre dernier, mais c'est peut-être parce qu'il vous attend. Vous trouverez toute l'information .

À cheval nez à nez, on commence à regarder la BRIDES!

Photo: Haïti Libre
Un nouveau sondage publié ce matin (mercredi) par le Bureau de recherche en informatique et en développement économique et social (BRIDES) plaçait les poulains Martelly et Manigat pratiquement nez à nez, le premier devançant l'ancienne première dame d'un peu plus de 4%, à 50,8% contre 46,2%, sur un échantillon de 6000 personnes sondées à travers le pays du 3 au 6 mars. La table était donc mise pour un débat chevaleresque, enregistré cet après-midi à l'hôtel Karibe et retransmis sur les chaînes télé et radio du pays en soirée.

Si les candidats ont profité de l'occasion pour dénoncer les violences qui ont teintées la campagne, particulièrement dans les derniers jours — trois hommes qui collaient des affiches de Manigat ont été retrouvés morts mardi matin, et Martelly, visiblement touché par l'évènement, s'en est également pris aux comportements agressifs observés en cours de campagne, dénonçant les formes de «dénigrement» dont il se dit victime — l'ambiance n'a cependant pas été bon enfant tout au long de la joute oratoire. 

Martelly a notamment appelé l'électorat à « choisir entre un système vieux de 30 ans, et le changement qu’il représente», se définissant comme le candidat de «l'honnêteté», de la «vérité» et de la «force», associant par le fait même son adversaire au pouvoir en place. Le message de cette dernière était quant à lui davantage orienté vers le rassemblement et la nécessité pour les Ayisiens de travailler ensemble. «Il ne faut pas oublier que nous sommes tous Ayisiens, que nous sommes capables d'aller de l'avant», a-t-elle déclaré en guise de conclusion, rappelant que sa première préoccupation résidait dans la nécessité d'enregistrer un taux de participation plus important que celui du premier tour — un anémique 22,87%. «Les problèmes étaient là avant le tremblement de terre, mais se sont agravés. Nous devons utiliser nos compétences, faire preuve d'engagement.»

Voilà pour les grandes lignes en ce qui a trait au fond — les candidats se sont bien exprimés sur des questions plus précises, mais j'y reviendrai. Pour l'instant, mwen gen fatig..

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Pour ce qui est de la forme, il vaut la peine de noter quelques remarques. Disons-le d'emblée, Manigat est apparue, comme depuis le début de la campagne, beaucoup plus posée et en maîtrise de ses moyens que Martelly. Elle a su garder son calme alors que Martelly pianotait constamment sur son bureau et s'adressait directement à la foule malgré les avertissements de la modératrice qui l'enjoignait de répondre aux question des journalistes désignés pour relancer la joute. L'exercice a rapidement pris une tournure un peu désordonnée, les deux candidats se coupant mutuellement la parole et se laissant aller à des attaques personnelles..

Ironiquement, alors qu'il dénonçait pourtant l'agressivité de la campagne d'entrée de jeu, Martelly a adopté un ton plutôt agressif et pourfendeur tout au long du débat, tandis que Manigat rejetait ses attaques avec un brin de condescendance et un sourire évoquant le «tu-n'as-rien-compris-mon-p'tit»— ce qui ne devrait contribuer à l'édifice ni de l'un, ni de l'autre..

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Le clou de la soirée — et par le fait même le début de la débandade — est survenu à peine 30 minutes après le début des échanges alors qu'un journaliste, reprenant une histoire du Miami Herald publiée dimanche, questionnait Martelly sur ses déboires financiers reliés à la mauvaise gestion trois propriétés (rien de moins) aux États-Unis. «Je ne suis pas responsable de mes investissements, si vous voulez, je vous mets en contact avec Natacha Magloire, my real estate agent.»

[...]
Est-il né celui qui va un jour être en mesure de gouverner ce pays ET de rejoindre le peuple?

lundi 7 mars 2011

De l'art du bruit (2)

Ça y est. J'en suis. Je viens de recevoir un appel de sollicitation du candidat Michel Martelly sur mon téléphone portable! Bon, ok, il était pré-enregistré et tous les abonnés de Digicel en reçoivent de semblables, mais quand même, ça me fait pratiquement l'effet d'avoir le droit de vote et de pouvoir l'exercer — à l'instar de 22,87 % des Ayisiens enregistrés qui se sont présentés aux urnes le 28 novembre dernier...

«—Bonjou, se Michel Martelly, annonce-il, confiant.
—Allo, le vrai Michel Martelly, là?
—(par dessus ma réponse) Le 20 mas, vote tèt kale pou tout moun an lekol...»

Il serait difficile pour moi de résumer le reste du message étant donné que c'était en créole, que j'ai éclaté de rire, et que j'ai finalement raccroché avant la conclusion et l'élaboration du [non] programme du candidat, surexcitée tout de même par cette manifestation électorale qui me rappelle que je vais être le témoin privilégié d'un moment unique le 20 mars prochain. La situation demeure tout de même révélatrice d'un certain malaise à l'égard de cette mascarade électorale...

***

Michel Martelly, alias «tèt kale» — en référence à son crâne rasé —, alias Sweet Miky, 50 ans, est une ancienne star du carnaval qui se déroule actuellement et jusqu'à mardi[-gras] partout en Haïti (on raconte qu'il y aurait déjà montré ses fesses et qu'il y aurait chanté vêtu de sous-vêtements féminins, balançant insanités par-dessus insanités à une foule gagnée d'avance). Le candidat de la rue qui porte les couleurs de Repons peyizan (Réponse paysanne), un parti plus ou moins inconnu avant l'ascension de la pop star, et qui vivait aux États-Unis jusqu'à tout récemment, est appuyé par une machine électorale puissante et s'est ainsi retrouvé au second tour de la présidentielle de façon un peu in extremis, devançant le candidat supporté par l'équipe au pouvoir de René Préval — Jude Célestin (INITE) menait pourtant Martelly dans les résultats préliminaires publiés le 7 décembre dernier. Le revirement de situation s'est effectué dans la controverse, et non sans une certaine ingérence de la communauté internationale, au premier chef de laquelle l'Organisation des États américains (OEA), qui a publié en janvier un rapport recommandant que la candidature de tèt kale soit retenue à la place de celle de Célestin — après une visite d'Hillary Clinton et des pressions de la part du Canada, de la France, de l'Union européenne (UE) et de la Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

Tèt kale, qui affrontera finalement Mirlande Manigat lors du deuxième tour de scrutin, est partout. On le voit et on l'entend beaucoup plus que Mme Manigat, dont l'âge (70 ans), les airs d'intellectuelle bourgeoise (elle est docteure en sciences politiques de la Sorbonne et diplômée de relations internationales de Sciences-Po, ancienne professeure de droit constitutionnel et vice-rectrice de l'Université Quisqueya et auteure de plusieurs publications), et surtout le passé politique (elle a fondé avec son mari le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP) en 1979; elle a été la première dame de la République en 1988 alors que son mari Leslie Manigat complétait un règne controversé et écourté à la suite d'un coup d'État, seulement quatre mois après avoir pris le pouvoir; et  elle a rejeté le mandat au Parlement que le peuple lui a confié en 2006, en signe de protestation au fait que son mari — encore lui! — avait, à son avis, été écarté injustement de la présidence au premier tour — ce que l'électorat ne lui a jamais vraiment pardonné) lui donnent du fil à retordre. Bref, tèt kale, même sans expérience et sans compétences réelles dans l'arène politique, réussit à mobiliser les couches populaires de l'électorat de façon beaucoup plus efficace que son adversaire, et ce, même s'il nous sollicite au téléphone sur l'heure du souper! En bon jargon, son message, aussi vide soit-il, passe mieux que celui de Mme Manigat...

Tout cela n'est cependant pas aussi simple qu'il y paraît et les choses pourraient bien changer dans le dernier droit de la campagne électorale, Mme Manigat multipliant les appuis extérieurs et tentant par tous les moyens — en visitant les quartiers populaires et en effectuant des visites à l'étranger, dont Montréal la semaine dernière — de briser son image de femme déconnectée du peuple. Et tout bouge si vite dans ce pays...

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La sollicitation téléphonique de Martelly avait par ailleurs déjà défrayé la chronique au premier tour, alors que les fameux robot-call franchissaient les frontières afin de rejoindre des représentants de la disapora installés aux États-Unis, des ONGs et des journalistes. Le Miami Herald rapportait d'ailleurs quelques jours avant le scrutin du 28 novembre que l'un de ces appels enregistrés avait causé l'évacuation de la base militaire de Fort Bragg, le personnel de l'armée américaine ayant confondu le message en langue étrangère avec une alerte à la bombe. Toujours selon le Miami Herald, la Federal Communications Commission (FCC) aurait par ailleurs ouvert une enquête sur ces appels automatiques, qui contreviendraient à la législation fédérale américaine...

Une question que  je me pose naïvement et officieusement même si je connais déjà la réponse officielle : Est-ce que les Ayisiens qui possèdent deux téléphones vont pouvoir voter deux fois?

De l'art du bruit

Les décibels sont rois et maîtres en Haïti. Et le silence est une denrée rare qui ne s'achète pas facilement avec moins de deux dollars par jour, il faut croire. Le bruit fait en quelque sorte partie de la culture haïtienne: la vie dehors, les fenêtres ouvertes, la proximité. La musique s'écoute fort, les guitares sèches sont trimballées partout même par temps humide, les marchandes sollicitent les passants en hurlant leur inventaire et les Ayisiens n'hésitent pas à hausser le ton pour faire valoir leur point de vue. Dans L'Énigme du retour, Dany Laferrière écrit par ailleurs qu'interdire les klaxons à Port-au-Prince équivaudrait à une certaine forme de censure...

À ce propos, il faut expliquer que les feux de circulation ne sont pas légion, et ce, même dans la grouillante capitale. Les conducteurs manifestent donc leur présence et leurs intentions à grand coup de pout-pout. Sur l'autoroute, ils font ainsi peur au bétail — veaux, vaches, cochons, chèvres et autres mulets — qui traverse fréquemment la chaussée et préviennent les paysans et les enfants qui longent la route qu'ils doivent demeurer vigilants et ne pas modifier brusquement leur trajectoire. Tout bon dépassement sera également initié par un long klaxonnement sonore, signifiant tantôt aux motocyclistes qu'ils doivent céder le passage, tantôt aux voitures circulant en sens inverse qu'ils sont appelés soit à ralentir, soit à se ranger à leur droite pour faciliter la manoeuvre. Les postulats de base du réalisme politique s'appliquent donc ici au code de la route — la logique coût-avantage et la maximisation des intérêts, l'anarchie, la puissance (et par extension la survie et la sécurité), l'usage de la force, etc.

[...]

Certains sons sont agréables — les criquets de la nuit noire ou les chants d'oiseaux de tout acabit,  le vent, le bruit des vagues, les comptines enfantines qui filtrent des locaux de classe où les fenêtres sont presque toujours ouvertes, la musique naturelle de la langue créole ou celle de la pluie qui tombe toujours en soirée et qui berce plus rarement des nuits entières, les enfants qui s'amusent avec un rien... D'autres se situent dans le spectre allant de «rigolos» à «un peu dérangeants» — les sonneries de cellulaires (nombreux sont les Ayisiens qui possèdent deux appareils, ce qui donne parfois lieu à des situations cocasses, mais demeure pratique quand on est à l'autre bout du fil!), le bruit de la [re]construction, les aboiements des nombreux chiens errants, les réclames agressives ou les ambiances sonores qui agrémentent la radio parlée et les «preach» quotidiens, l'abus de Céline/Ginette Reno, les jeunes hommes qui rincent leur moto à toutes heures, etc. D'autres sons sont quant à eux carrément troublants — les coups de feu tirés au beau milieu de la nuit, les cris et les pleurs, les gémissements, les gargouillements de ventres affamés, les exaltations et les débordements des casques bleus en congé, les rumeurs qui courent sur eux et dont on redoute qu'elles soient en partie vraies, le bruit des bottes, et j'en passe. (J'y reviendrai si je pense à autre chose.)

Pour l'instant, je m'achète des bouchons et j'essaie d'aller dormir en me demandant si Machiavel a connu le sifflet...

Le bruit, le bleu, le ciel, le sel et le cell

Vue aérienne du Cap-Haïtien, dans le département du Nord.
Une petite douzaine de jours se sont déjà écoulés depuis mon arrivée sur la perle des Antilles. Mille messages textes, mille sourires, mille bonjou/bonswa de part et d'autre d'un midi brûlant de mille feux, mille enfants errant dans les rues et demandant un «ti-kob, madam», mille opinions politiques toutes aussi déroutantes les unes que les autres (c'est l'art de la nuance catégorique de mille interprétations), mille casques bleus au moins et mille autres couleurs, mille tentes empilées les unes par dessus les autres, mille miles aussi — je vous le donne en mille — passés dans le «blokis», cet embouteillage perpétuel qui paralyse les rues et les routes à peu près tout l'temps, mille minutes passées avec Dany Laferrière, espèce de boussole déboussolée qui me sert de repère et m'incite à me perdre dans cette culture insaisissable, mille décibels de carnaval, de reconstruction, de jazz et de coups de feu nocturnes, mille animaux grouillants et défiant les mille coups de klaxon sur des routes aux mille nids de poule (ou était-ce des autruches?) et mille et une impressions, encore difficiles à traduire en mots..

Ces blogueries n'ont pas la prétention de l'absolu, de toujours viser dans l'mille — ok, j'arrête avec le champ lexical. Ni même de définir une réalité plurielle, toute en nuances et en mouvances, ce qui la rend complexe et difficile à capter, à définir, à cerner et à interpréter. Elles visent plutôt à regrouper des impressions, à fournir des clés capables de débarrer les portes fermées des esprits les plus obtus, à faire bouger les perceptions négatives solidement ancrées sur cette moitié d'île qui porte en elle le passé de tout un continent oublié. Elles se veulent aussi un ouvrage de mémoire, un peu de l'ordre du senti, de celui de l'événementiel parfois, et de la rencontre avec l'autre souvent. Elles seront tantôt personnelles, tantôt factuelles, tantôt réelles et tantôt inventées, mais elles seront toujours ouvertes à vos «questions/commentaires/insultes», comme dirait l'autre.

Bienvenue en Ayiti, les p'tits!