samedi 2 avril 2011

Ensemencer la dépendance

Photo: AlterPresse
Dans la foulée des efforts d'aide humanitaire subséquents au séisme du 12 janvier 2010, la controversée multinationale Monsanto est elle aussi venue planter ses graines dans les campagnes ayisiennes, semant au passage risques environnementaux et sanitaires et autres dangers d'accroissement de la dépendance.

Sous l'égide de la FAO — qui craignait une «crise alimentaire» et des émeutes de la faim semblables à celles qui ont suivies les cyclones Hanna, Gustav et Ike dans les régions des Cayes et des Gonaïves — et des organisations non gouvernementales internationales (ONGI) telles que Oxfam, l'USAID, le Catholic Relief Services, ainsi que le Ministère de l'Agriculture, le programme aurait coûté plus de 20 millions de dollars et aurait pourvu en outils, semences et boutures quelques 400 000 familles ayisiennes, soit entre un tiers et la moitié de la population paysanne du pays. 

«La logique derrière [cette distribution] c'est que, dans les zones sinistrées et dans celles qui ont reçu un grand nombre de personnes déplacées, les paysans ont perdu leur capital», selon Francesco Del Re, représentant de la FAO dont les propos sont rapportés par l'agence AlterPresse. «Ce n'était pas une distribution générale. C'était une distribution bien ciblée, dirigée vers les plus vulnérables.»

Cependant, une enquête menée pendant trois mois par l'agence AlterPresse a permis de déceler un certain nombre d'éléments controversés, ayant trait notamment à des informations concernant de mauvaises récoltes, à des risques environnementaux et sanitaires et à un danger d'accroissement de la dépendance. 

Louise Sperling, chercheure au Centre international d'agriculture tropicale (CIAT), indique par ailleurs qu'il n'y avait «pas d'urgence de semences» en Haïti, que «contrairement à ce qui se passe à peu près partout ailleurs dans le monde, "manger et vendre des semences" ne constituent pas des signaux de détresse en Haïti, ce sont des pratiques normales». Le problème était donc davantage de nature financier qu'issu d'un manque de ressources à proprement parler.

Cependant, comme le rapporte l'agence AlterPresse et même si «on ne devrait jamais introduire dans un contexte d'urgence de nouvelles variétés qui n'ont pas été testées sur le site agroécologique en question», le ministère de l'Agriculture a bel et bien approuvé le cadeau empoisonné de 475 tonnes de semences de variétés hybrides de Monsanto, s'inscrivant en faux avec la loi ayisienne et les conventions internationales visant à protéger le patrimoine génétique et l'écosystème en général. Et ce, même en sachant que les graines de Monsanto, après la première utilisation, deviennent stérile, forçant ensuite l'achat de nouvelles semences pour la postérité...

Les 475 tonnes «données» par Monsanto devaient être distribuées par le programme agricole de l'USAID, WINNER (Watershed Initiative for National Environmental Resources) — l'enquête d'AlterPresse a réussi à déterminer qu'au moins 60 tonnes de variétés de maïs hybride et de semences de légumes Monsanto et Pioneer ont été distribuées et  activement promues, mais rien n'est dit sur la balance des dons de Monsanto, les employés de l'USAID n'étant pas autorisés à parler aux journalistes...

12 janvier = misère pour les Ayisiens, millions pour les ONG (Ayiti Kale Je)
Une note interne de l'USAID/WINNER obtenue par l'équipe d'enquête indique toutefois que «malgré toute une campagne médiatique contre les hybrides, sous couvert d'OGM/Agent orange/Round Up, ces semences ont été utilisées presque partout, le vrai message est passé, bien qu'à un niveau en deça des nos espérances». «Nous travaillons actuellement le plus vite possible avec les paysans afin d'augmenter autant que possible l'utilisation des semences hybrides.»

Alors que les agriculteurs ayisiens ont historiquement tendance à utiliser leurs propres semences pour l'année suivante ou encore pour s'en nourrir, les dirigeants de l'USAID/WINNER ont cru bon de former des «paysans vulgarisateurs» pour faire passer leur message avilissant. Ces derniers voient donc d'un bon oeil ce «coup de pouce» : «Ils [les agriculteurs] n'ont pas à se tuer comme avant. Ils peuvent planter, récolter, vendre ou manger. Ils n'ont plus à conserver des semences, parce qu'ils savent qu'ils vont en obtenir à partir du magasin [WINNER-subventionné].» Pas de réponse aux questions des journalistes qui concernaient la fin des subventions, par contre...

Et ces «paysans vulgarisateurs» n'ont pas non plus d'information à donner en ce qui concerne les risques  sanitaires et environnementaux associés à la manipulation de ces graines traitées avec herbicides et fongicides néfastes pour la santé. Pas de gants, pas de masques, aucune protection donc, dans les champs ayisiens.. Et c'est sans compter le fait que certains de ces agriculteurs sous-informés avaient l'intention de broyer les semences hybrides pour les donner à manger aux volailles avant l'intervention de Ayiti Kale Je, organisme qui a mené l'enquête avec AlterPresse...

Cette «aide» s'est donc poursuivie, même après que les paysans eurent regagné leurs terres, au grand dam de Louise Sperling, du CIAT, qui y voit des conséquences à long terme qui ne sont pas qu'environnementales, mais aussi financières. «L'aide directe en semence — lorsqu'elle n'est pas nécessaire et pratiquée de manière répétitive — constitue un préjudice réel. Elle sape les systèmes locaux, crée des dépendances et étouffe tout véritable développement du secteur commercial. [Certains acteurs humanitaires] semblent voir dans l'offre d'aide en semences une manière facile de se financer, même si leurs actions peuvent nuire aux agriculteurs pauvres.»

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Pour réellement saisir la portée de l'action américaine en Ayiti dans le secteur agricole, il faut aussi lire l'article du Monde diplomatique, publié en juin 2010. (Extraits)

«Dès 1981, sous l’administration Reagan, l’USAID fait pression sur le gouvernement haïtien pour substituer des produits d’exportation (cacao, coton, huiles essentielles) aux cultures vivrières. L’opération sera facilitée par l’octroi d’une aide alimentaire américaine équivalente à 11 millions de dollars. En 1995, un accord passé entre l’ancien président, M. Jean-Bertrand Aristide, et le président américain William Clinton pour lever les barrières douanières, a autorisé le « dumping » des produits agricoles américains (subventionnés) sur le marché local.

Autosuffisante dans les années 1980, la production nationale haïtienne alimentaire satisfaisait moins de 40 % de la demande alimentaire locale à la veille du séisme. Le reste provenait des importations et de l’aide internationale. Une situation qui n’a fait qu’aggraver les conséquences de la catastrophe. Le nombre de personnes vivant en situation d’insécurité alimentaire sévère est passé de 500 000 avant le séisme à plus de 2 millions aujourd’hui. Le nombre de familles disposant de stocks de nourriture a chuté de 44 à 17 % et les prix des denrées alimentaires ont bondi de 25 % en moyenne.»

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Une nouvelle qui passe moyen avec un petit déjeuner composé de fruits, de céréales et de café locaux...

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