mercredi 19 octobre 2011

Du ciment social...

Michel Martelly et Muhammed Yunus. 
 
Le prix Nobel de la paix et père du microcrédit, Muhammed Yunus était en ville la semaine dernière. Il s'est entretenu jeudi avec le président Martelly, avec qui il collabore au Conseil consultatif présidentiel pour l’investissement (CCPI), lancé officiellement le mardi 20 septembre lors de la visite présidentielle de Martelly à New York dans le cadre de la 66e Assemblée générale des Nations unies.

Le «banquier des pauvres» est venu en Ayiti présenter son concept de «social-business», ce pied de nez à l'ordre néolibéral qui instrumentalise l'économique pour faire du social. Et pas dans le sens de 5 à 7, messieurs, dames. Dans le monde de Yunus, le profit n'est ni sonnant, ni trébuchant, ni bling bling. Il est plutôt progrès, réponse à des problèmes sociaux en apparence insolubles. Comme la malnutrition et le chômage dans son Bangladesh natal. Ou comme la déforestation et le chômage ici même en Ayiti.

«Il y a le monde des affaires. Il y a le monde des œuvres de bienfaisance. Pourquoi ne pas prendre ces deux idées et essayer de faire de l'argent tout en résolvant des problèmes sociaux?», a demandé celui qui s'est joint à la multinationale française Danone pour élaborer un yogourt riche en micro-nutriments destiné à nourrir les enfants malnutris du Bangladesh tout en fournissant des opportunités d'emploi à leurs parents via la construction et l'exploitation sur place d'usines alimentées à l'énergie solaire et au biogaz.

La lutte de Yunus contre l'ordre établi n'a cependant pas toujours été facile. Celui qui a vérifié empiriquement sa théorie sur le microcrédit en prêtant 27 dollars à 42 personnes en 1977 et qui a, après cette expérience concluante, fondé la Grameen Bank en 1983, a récemment été écarté du conseil d'administration de cette dernière. Il avait dépassé l'âge légal de la retraite — 60 ans — selon les lois bengladaises, perdant ainsi le privilège d'administrer une entreprise publique. Refusant de céder et plaidant une «attaque personnelle» des autorités destinée à mâter son ambition politique de fonder un parti pour dénoncer l'intéressement indécent des dirigeants pour «l'argent et le pouvoir», Yunus a finalement été débouté par la Cour suprême en mai dernier. Il a été remplacé par son adjoint, Nurjahan Begum.

Stanley Pierre, un étudiant de 25 ans fréquentant le laboratoire informatique financé par le Grameen Creative Lab, une fondation qui octroie des prêts pour financer des entreprises sociales et qui a ouvert un bureau en Ayiti après le séisme du 12 janvier, à qui Yunus proposait de devenir un créateur d'emplois plutôt que d'en chercher un, a relancé le principal intéressé : «C'est impossible pour un jeune entrepreneur de faire du social-business en Ayiti. C'est seulement quand nos affaires connaîtront un réel succès et quand nous nous serons occupés de nos familles que nous pourrons songer à venir en aide à la communauté», a-t-il dit, pessimiste.

En effet. Avant de penser fonder le «social-business» en Ayiti, il faudrait peut-être cimenter le «social» tout-court...

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Font également partie du CCPI [sans nécessairement verser dans le «social-business»] :

L’entrepreneur et star du hip-hop, Wyclef Jean,
L’ex-Premier Ministre de la Jamaique, Perival James Patterson,
Le PDG de la Digicel, Denis O’brien,
Le Maire de Montréal, Gerald Tremblay,
L’envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti, Mme Michaelle Jean,
L’ex Président de la Colombie, Alvarez Uribe Velez,
L'ex Président des États-Unis, Bill Clinton,
Le Conseiller Principal du Président, et co-Président du Conseil M. Laurent Lamothe

vendredi 14 octobre 2011

Avoir un gouvernement (2)

Le Sénat a finalement approuvé, à 3h15 cette nuit, le document et le cabinet présentés par Gary Conille. Après dix heures de débats sous forme de questions-réponses, 16 sénateurs ont voté pour la proposition, quatre contre et cinq se sont abstenus, selon ce que rapporte ce matin l'agence HPN.

«Je m'engage à être à la hauteur de la confiance que vous avez placée en moi», a répondu le principal intéressé au président du Sénat, qui a plaidé dans son discours final qu'il était urgent d'améliorer la situation de centaines de milliers de Portauprinciens qui vivent toujours dans des camps de sinistrés après le séisme du 12 janvier — propos recueillis dans Le Nouvelliste.

Le nouveau Premier ministre doit maintenant se prêter à un exercice similaire devant la Chambre des députés, qui avait approuvé sa candidature à l'unanimité lors de la première étape du vote technique.

jeudi 13 octobre 2011

Avoir un gouvernement...

Le premier ministre Gary Conille en est presqu'officiellement un. Il a présenté aujourd'hui son cabinet ministériel et sa politique générale au Sénat.. qui lui posera des questions sur ces contenus toute la nuit avant de voter officiellement pour ou contre l'orientation qu'il souhaite donner au gouvernement. Après quoi viendra, si Dieu le veut, le tour de la Chambre de parlementaires.

Les propositions du Dr Conille, qui a difficilement été ratifié par le vote technique de la semaine dernière au Grand corps [malade] (17 pour, 3 contres et 9 abstentions) après avoir joui de l'unanimité à la Chambre basse, sont en effet encore à cette heure débattues.

Cinq mois de jeux de coulisse et de joutes oratoires après l'assermentation du président Martelly, le gouvernement ressemblerait donc à cette liste, que je me permets de reproduire, même si elle n'est qu'officieusement officielle, et non encore publiée dans Le Moniteur, l'organe officiel du gouvernement s'il en est et dont les textes ont, semble-t-il, «force» de loi :
  • Thierry Mayard-Paul : Ministres de l’Intérieur, des Collectivités territoriales et de la défense (chef du cabinet Martelly)
  • Laurent Lamothe : Ministre des Affaires étrangères et des Cultes (équipe Martelly)
  • Lemercier George : Ministre de l’Économie et des Finances
  • Wilson Laleau : Ministre du Commerce et de l’Industrie (équipe Martelly)
  • Florence D. Guillaume : Ministre de la Santé publique (proche de la première dame)
  • Josué Pierre-Louis : Ministre de la Justice (équipe Martelly)
  • Réginald Paul : Ministre de l’Éducation nationale
  • Hébert Docteur : Ministre de l’Agriculture
  • Jacques Rousseau : Ministre des Travaux publics et de l’Energie
  • Stéphanie Villedrouin : Ministre du tourisme
  • Joseph Ronald Toussaint : Ministre de l’Environnement (choix INITE)
  • François Michel Lafaille : Ministre des Affaires sociales (choix du G16)
  • Yanick Mezil : Ministre à la Condition féminine
  • René Jean Robert : Ministre de la Jeunesse et des sports (choix AAA)
  • Choiseul Henriquez : Ministre de la Culture (choix INITE)
  • Ralph Ricardo Théano : Chargé des Relations avec Parlement (équipe Martelly)
  • Garry Conille : Ministre de la Planification
Il est à noter que tous les ministères opérationnels sous l'administration précédente sont conservés. Et que le Dr Conille cumulerait les postes de Premier ministre et de Ministre de la planification et de la coopération externe.

Pour ce qui est de la politique générale, si on en a la patience, il est possible de lire le document de 93 — ou 97 pages, ce n'est pas clair! — en quatre parties publiées sur le site Haïti libre ici, ici, ici, et ici.

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Le bouillant sénateur Steven Benoît vient de lâcher le micro après une prestation toute en gesticulations et en cris — mais en Créole. La parole revient maintenant à Gary Conille, qui prend des notes pour répondre aux sénateurs qui se présentent par à-coups de trois à la suite. Belle occasion pour aller dormir...

On vous tient au courant demain...

Le malaise des belles-mères

Martelly et «Titid», après une rencontre de 4h à la résidence de l'«ex»
Le président Martelly effectue ces derniers jours, tout sourire et «tèt kale», une tournée des anciens dirigeants du pays à l'occasion, dit-il, de la «semaine de la réconciliation nationale». Parmi les huit «ex» encore vivants et résidant au pays, deux noms retiennent incongrument l'attention : Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier et Jean-Bertrand Aristide, tous deux rentrés d'exil cette année.

Le premier est revenu en Ayiti un an et quelques jours après le séisme du 12 janvier 2010, profitant de la horde de journalistes internationaux venus dans l'île pour briser 25 ans d'exil forcé en France. Des poursuites judiciaires pour détournement de fonds et violation des droits de la personne ont été déposées contre lui peu après son retour. Ces poursuites, qui le contraignent théoriquement à résidence, n'entachent toutefois [et étrangement] pas trop sa popularité. Des manifestants — qu'on peut facilement imaginer avoir été encouragés par d'autres incitatifs — et les avocats qui le représentent, sont récemment venus perturber la conférence de presse organisée pour la diffusion du rapport «On ne peut pas tuer la vérité», d'Amnesty International.

«Titid», quant à lui, est rentré d'un séjour forcé de sept ans en Afrique du Sud, deux jours avant le deuxième tour des élections du 20 mars dernier. Il avait été renversé par un coup d'État [auquel aurait été affilié Michel Martelly, alors roi du carnaval] une première fois en 1991, puis une deuxième et [alors] définitive fois en 2004, à la faveur d'une rébellion d'anciens membres de l'armée. Discret depuis son retour au pays, il vient toutefois d'inaugurer la réouverture de l'Université de la Fondation Aristide, fermée lors de son départ forcé en 2004, avec l'admission d'une cohorte de 126 étudiants en faculté de médecine — non encore reconnue par l'État haïtien. Plusieurs analystes estiment que l'ancien leader, et «secrétaire général à vie» du parti Lavalas, attend le dégonflement du phénomène Martelly avant d'effectuer un retour à l'avant-scène politique — peut-être à l'occasion des élections sénatoriales de novembre...

«Je souhaite que les leaders anciens et actuels puissent s’unir en vue de travailler au progrès d’Haïti», a martelé Martelly à Radio Kiskeya, lors d'une visite à la résidence de Prosper Avril (président dans l'intervalle 1988-1990), dont il a salué le passage à la tête de l’État et les longues années passées au service de l’armée. Le chef d'État doit également rencontrer les «ex» René Préval (1996-2001 et 2006-2011), [le mari de la rivale de Martelly aux dernières élections, Mirlande Manigat] Leslie Manigat (fév-juin 1988) et Boniface Alexandre (chef du gouvernement intérimaire de 2004-2006).

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Martelly et Duvalier. À gauche, Nico Duvalier, le fils
de «Baby Doc» et consultant du président. Photo: AP
Admettons que l'exercice de mémoire soit compliqué dans un pays où l'espérance de vie est de 59 ans et où presque 36% de la population a moins de 15 ans. Admettons qu'une population vivant avec moins de deux dollars par jour dans une proportion de 78% et avec moins d'un dollar par jour à 54% ait d'autres chats à fouetter que de se questionner sur la rationalité de tisser des liens avec des «ex» ayant des bilans plus que mitigés en termes de développement.

Reste tout de même le message confus et contradictoire qu'envoie cette opération de relations publiques : comment un président qui a jusqu'à maintenant fondé sa stratégie — comme bon nombre de politiciens — sur l'avenir et sur le changement peut-il invoquer les fantômes d'un passé trouble et douloureux pour faire avancer le pays? Tout ça alors que le premier ministre désigné se débat comme un diable dans l'eau bénite avec les élus actuels pour pouvoir former son saint gouvernement?

Il faudrait peut-être quelqu'un pour rappeler au numéro un de l'État ayisien — ou de ce qu'il en reste — que sa «semaine de la réconciliation nationale» a commencé ce lundi par la Journée internationale de la santé mentale...

dimanche 2 octobre 2011

Chauffer la couette

Des vieux qui se dérident, des jeunes qui prennent conscience de ce qu'a pu endurer celui qui les a mis au monde, des propriétaires de pénis qui les aiment tant : les vagins étaient à l'honneur hier au Villatte de Pétionville, transformé en chaude et humide scène de théâtre à l'occasion des courus et créolisés Monologues du vagin. Et aller au théâtre en Ayiti, ça implique avoir droit à deux spectacles pour le prix d'un...

Cinq actrices, 17 tableaux basés sur les témoignages de 200 femmes et joués dans un décor épuré flanqué de trois tabourets de bar, et un seul sujet par où tout a commencé. Premier spectacle, fort réussi malgré quelques petites difficultés techniques et un confort compromis par la proximité des voisins. 

Deuxième spectacle que ces 400 Ayisiens qui s'en donnent à coeur joie dans l'assistance, rigolant bruyamment, tapant des mains et lançant même des blagues coquines et de circonstance à l'intention de leurs homologues et des protagonistes de la pièce. Jamais vu un public aussi participatif et aussi plongé dans l'action que celui-là, déchaîné et, il faut le dire, apportant valeur ajoutée et couleur locale au spectacle — malgré quelques petites incartades vulgaires de coqs en manque d'attention et d'autorité voulant marquer le territoire de la basse-cour.

Car l'heure était au «plaidoyer pour le respect de la femme, de son sexe et de la sexualité», comme disait joliment le carton d'invitation. Et messieurs, ce n'était pas la peine d'essayer de «voler l'show» avec vos répliques cinglantes qui ne nous laissaient qu'envisager votre intimidation, votre malaise et votre manque de doigté devant le beau sexe.

Du reste, pas une seule fois nos cinq déesses n'ont décroché pendant ce marathon de deux heures — surtout pour Cynthia Jean Louis, de quasi toutes les scènes et excellente au bord des larmes, de l'extase, de l'hystérie comme de l'hilarité. Fabienne Colimon, au crépuscule de la vie, Huguette Saint-Fleur en belle de jour et Ange Bellie Andou en belle de nuit complétaient la distribution de la dramaturge et scénariste Florence Jean Louis Dupuy, la tante de l'autre, qui a également fait une brève apparition au début de la pièce... et qui nous a promis avant de tirer le rideau que la prochaine fois, on saurait «tout, tout, tout, on saurait tout sur les zizis».

Tant qu'on peut encore profiter de notre petit quinze minutes de gloire... Et en espérant que ces hommes n'ont pas compté le temps comme on ne compte pas les mots créoles pour poursuivre l'hommage à la chat, au bobot, au krek, à la chouchoun, à la koukoun, à la bouboun, à la foufoun, anba la...