Quatre-heures-et-demie-cinq-heures-moins-quart, hier soir. Le ciel, qui avait mis tout l'après-midi à se voiler d'un camaïeu de gris menaçants, s'est fendu d'un seul coup sur Port-au-Prince. Comme une piñata qui reçoit le coup de grâce.
C'était la première fois que je voyais la pluie de jour. Même si c'est techniquement la saison des pluies, les averses se manifestent généralement en fin soirée et ne durent jamais bien longtemps — rarement plus d'une heure. Quand ça tombe, par contre, ça tombe. Et ça sème la panique.
Dès le premiers coups de vents violents, les Port-au-princiens s'emballent. Ils plient bagages. On les voient s'agiter dans les rues, se disperser à droite et à gauche. Comme une petite fin du monde à chaque fois. Le soir, après la pluie, les rues humides sont vides. Mais là, à l'heure de pointe, c'était un peu le chaos, tout le monde cherchant à se mettre à l'abri le temps de l'averse ou à rentrer chez eux le plus rapidement possible.
Des dizaines de personnes serrées dans les moindres racoins offrant une petite protection. J'ai dû me frayer un chemin pour accéder au guichet automatique, les gens étant tous aglutinés pour profiter d'un petit bout de toit — merci ô grand Dieu Sogebank. En descendant de Pétionville, ils étaient sept ou huit sous les parasols qui protègent normalement les marchandes du soleil. Mangues, oranges, chadèques étaient restées sur le trottoir. Comme des témoins du temps qui s'arrête dans l'intervalle, figeant tout le monde jusqu'à ce que Dieu arrête de pleurer sur leur tête.
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Malgré tout ce qu'ils endurent au quotidien, la pluie a sur les Ayisiens un effet impressionnant. En moins de deux, ils disparaissent carrément de la vue. «Ayisien pa gen pè machin, gen pè lapli» (Les Ayisiens n'ont pas peur des voitures, ils ont peur de la pluie).
Il n'y a pas vraiment de croyances rattachées directement à la pluie dans le vaudou ayisien. Simbi Dlo ou Simbi Andezo, esprits de la famille des lwa serpents, font davantage référence aux points d'eau — lacs et rivières — dont il sont les gardiens et où les vaudouïsants pratiquent certaines formes de transe. À proprement parler, dans la culture vaudou, la pluie n'est donc qu'un phénomène naturel normal. Si l'on cherche à tout prix un lien religieux, on peut dire que c'est l'offrande du Bondye pour l'agriculture — une référence plus catholique que vaudou.
Il semblerait que cet effet que la pluie a sur les Ayisiens tienne donc davantage de la peur du froid, voire de la peur d'être malade, que de la spiritualité. Les trous d'homme — souvent sans bouche d'égoûts — et les nids d'autruche, camoufflés par les vagues, sont d'autres explications plausibles quant à la peur de la pluie des Port-au-princiens. Le spectacle de la fuite a tout de même quelque chose de rigolo à observer...
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Jusqu'à ce que l'on songe aux morts que causent la pluie et les vents violents. Parce que la pluie, même si elle tombe de façon drue et pendant un temps restreint, demeure après l'averse. Les ravines la font dégringoler jusqu'au bas de la ville, entraînant dans leur sillage déchets et microbes jusqu'à Martissant, Carrefour, et autres quartiers populeux et populaires. La route de Delmas ressemblait hier davantage à une rivière en crue qu'à une rue. L'eau ruisselait violemment, remontant de quelques mètres lorsqu'elle frappait des obstacles sur son passage.
Quelques braves avaient retiré leurs chaussures pour, pieds nus, tenir tête aux éléments. Les vêtements collés au corps, ils avançaient d'un pas lourd dans cette eau fangeuse, vers des lieux inconnus mais mouillés.
Les rivières, où se lavent et se rafraîchissent campagnards et villageois, font aussi leur lot de victimes en ces temps torrentiels. Pris par surprise, ces derniers sont parfois happés par les flots impétueux et intempestifs venus gonfler subitement leur salle de lavage en plein air. On me raconte aussi que sur la route des Nippes, où un pont a été détruit par le séisme et où il faut traverser par la rivière asséchée, une voiture a ainsi été emportée jusqu'à la mer, faisant prisonniers des eaux ses passagers aventureux.
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Mais par-dessus tout, lorsque les éléments se déchaînent, on pense aux milliers de déplacés qui vivent dans des conditions lamentables sous des tentes rapiécées. Et on rage en se disant que Kate et William ont reçu de Stephen Harper un «kit de camping» de luxe en guise de cadeau de mariage. Il y en a qui ont vraiment tout [faux] sur cette planète... En tout cas, moi j'ai une petite suggestion-destination-soleil-paradisiaque-et-méconnue pour étrenner ce «kit» en voyage de noces!
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