La compagnie d'État Électricité d'Haïti détient le monopole en matière de production, de transport, de distribution et de commercialisation de l'énergie électrique sur tout le territoire ayisien. Alors que la demande de la seule ville de Port-au-Prince se chiffre à plus de 200 mégawatts, la capacité installée d'EDH est de seulement 230 mégawatts pour tout le pays.
Et faute d'entretien et d'endommagements importants liés au séisme, la capacité installée ne fonctionne pas à plein régime.. Par exemple, le plus grand barrage hydroélectrique du pays, le Péligre, ne fonctionnerait qu'à hauteur de 55 % — 30 MW produits pour une capacité de 54. Et le manque d'eau causé par l'allongement de la saison sèche et par la déforestation n'améliore pas la perspective.
Malgré qu'elle vive dans l'extrême précarité, la population ayisienne paie donc plus cher que tous les autres Caribéens pour des services qui ne fonctionnent qu'à moitié. Pour plus de 300$ dollars par mois, on alimentera une grande maison... à raison de huit à douze heures d'électricité par jour! Et ça, c'est quand on est chanceux, les ruptures d'approvisionnement étant nombreuses et pouvant durer plusieurs jours.
Les familles mieux nanties ont donc des «inverter» pour emmagasiner l'énergie, ou mieux, une génératrice pour prendre la relève lors des longues périodes de rupture d'approvisionnement — c'est également le cas des grands hôtels qui accueillent les étrangers. Ils en ont de la chance...
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Passé 6h du soir et jusqu'à environ 5h30 du petit matin — Ayiti étant proche de l'équateur, les différences saisonnières de luminosité sont très faibles — le pays est donc plongé dans l'obscurité la plus totale. Et il n'y a pas de lampadaires pour éclairer la nuit noire, ce qui laisse une étrange impression fantômatique, entrecoupée par les puissants phares des rares voitures qui bravent la nuit.
Afin d'éviter d'abîmer sa voiture dans un nid d'autruche — c'est le chauffeur Paul qui m'a dit ça — les gens qui conduisent la nuit ont tendance à rouler sur les hautes, même en pleine ville. Et la plupart ne baissent pas leurs phares lorsqu'ils encontrent d'autres conducteurs, ce qui est assez désagréable, voire dangereux..
Je ne sais pas si j'oserais l'appel de phares. Je connais la légende urbaine [américaine] et j'ai peur qu'elle soit parvenue jusqu'ici...
Dans l'obscurité portauprincienne, les familles nanties sont donc facilement repérables. Et il vaut mieux enfiler son pyjama dans la noirceur si l'on ne veut pas inciter le voisinnage à se préparer un sac de pop-corn pour le spectacle. Quoi de mieux que de zyeuter quand on n'a rien d'autre à faire — pour d'autres raisons, c'est pas comme si tout le monde était habilité à lire à la chandelle non plus...
Malgré cela, l'Ayisien moyen est assez mâlin. Pourquoi paierait-il pour un service qui ne fonctionne qu'à moitié quand ses voisins le font pour lui? Là où les compteurs tournent, on voit donc presque toujours, si on y regarde de plus près, une panoplie de petits fils métalliques courir le long des lignes de transmission. En suivant les «ti-fil», de leur appellation créole, on retrouve la trace de celui qui «emprunte» l'électricité à son voisin pour alimenter un radio, charger un cellulaire, s'éclairer un peu. Rien de bien demandant puisque la puissance électrique s'amenuise en cours de route. Même s'ils sont soumis au même diktat d'EDH en ce qui concerne les ruptures d'approvisionnement, on espère que ça réchauffe aussi un peu le coeur de ces Ayisiens ingénieux.
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«Haiti is a black woman sitting in a pitch-black dark room; she holds a single strike-anywhere-match in her left hand, a candle in the other hand, and a veil covers her face. She is patiently waiting for a man who is able to see in the dark to come into the room, find the match she is holding, light her candle, and remove her veil. Then, and only then, it will be revealed how beautiful she is.» — Newvisionhaiti.com
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