samedi 3 décembre 2011

Écrits violents

Une amie m'envoie un courriel cette semaine. Un rien du tout, une petite question innocente qui a l'air de rien.. «Qu'est-ce que t'en penses?», écrit-elle, en joignant un lien vers une analyse du Council on Hemespheric Affairs intitulée The "Enforcers": MINUSTAH and the Culture of Violence in Port-au-Prince. L'analyse de Courtney Frantz, publiée ce 28 novembre, défend une thèse anti-MINUSTAH en déployant un argumentaire à saveur de théorie du complot et en énumérant une série d'événements peu reluisants impliquant la force de l'ONU... en ne montrant qu'un seul côté de la médaille.

«Heille, c'est une question compliquée — même si elle tient en peu de mots — que tu me poses là...» Ma réponse sera évidemment verbeuse. Tu pourras réagir si le coeur t'en dit.. Voilà : 

Pour l'article, je ne sais pas trop ce que j'en pense.. En fait si.. Au fil de la lecture, certaines notions de la conférence d'André Corten, politologue et prof à l'UQAM, chercheur à l'IRD, — il vient de rééditer une version actualisée et augmentée de L'État faible : Haïti/République dominicaine et était de passage à Port-au-Prince la semaine dernière — me revenaient constamment en tête.

Au premier chef desquelles cette notion de violence. Corten expliquait assez justement la violence de la société haïtienne elle-même. Pas nécessairement en termes de criminalité ou d'actes violents — le taux d'homicides est d'ailleurs plus faible que chez le voisin et que dans plusieurs pays des Caraïbes/de l'Amérique latine, et si tu veux mon avis, la notion d'insécurité est probablement un peu surmédiatisée dans le cas d'Ayiti, le problème résidant davantage dans une justice aléatoire, monnayable et à géométrie variable qui envoie des messages contradictoires et qui rend difficile la lecture de différentes situations/réactions —, mais plutôt en termes socio-politiques. Lire l'incapacité, voire le manque de volonté de l'État et de la classe dirigeante à articuler un projet social qui tiendrait compte de la majorité, qui écouterait ce qu'elle a à dire, qui s'arrangerait pour définir des réponses réalistes à des demandes légitimes formulées par la population. Bref, l'absence de lien/tissu/ciment social/contrat social, le désoeuvrement d'une population abandonnée à elle-même et où pullulent les laissés-pour-compte (en termes d'éducation, d'accès aux services de base, au travail, à la dignité, etc.) et qui résultent en un manque de confiance généralisé dans les relations citoyen-citoyen, citoyen-État, citoyen-institutions, citoyen-communauté internationale, État-institutions, État-communauté internationale, institutions-communauté internationale and on, and on, and on. Nous sommes donc en présence d'une culture et d'un imaginaire de méfiance. «Il ne faut jamais faire confiance à un Ayisien», répètent souvent les Ayisiens eux-mêmes...

Fait cocasse, après l'intervention des conférenciers — Corten était flanqué de Laënnec Hurbon (théologicien et sociologue, directeur de recherche au CNRS et prof à l'Université Quisqueya), Sabine Manigat (la fille de Leslie, mais pas de Mirlande, intellectuelle haïtienne) et de Guy Alexandre (ancien ambassadeur d'Haïti en République dominicaine) — une période de questions était prévue. «C'est là que le party commence», ai-je murmuré au collègue qui m'accompagnait, connaissant la propension des Ayisiens pour la fierté nationale émotive, leur esprit d'éditorialistes contestataires, et leur manie de présenter leur point de vue en long et en large, haut et fort, sans nécessairement qu'il soit fondé sur une base argumentaire solide. Par des interventions majoritairement provocatrices et tentant de pourfendre les propos des quatre penseurs, ils ont ironiquement fourni une démonstration étoffée de ce que défendaient les conférenciers, de cette idée de violence de la société ayisienne...

Mais pour revenir au texte, je pense que c'est un point de vue. Un point de vue qui se vaut, certes, toute chose étant relative, mais un point de vue qui n'est pas très nuancé et qui est critiquable au point de vue de l'honnêteté intellectuelle. Je veux dire, que l'auteur est clairement contre la présence de la MINUSTAH. Mais il ne propose pas grand chose en termes de solutions alternatives.. Et la réalité, c'est qu'avec la faible capacité de l'État ayisien à lever des impôts — environ 60% du budget national provient de l'extérieur —, il est permis de s'interroger sur sa capacité à entretenir une institution aussi budgétivore que l'armée — ou encore une force policière efficace et non corrompue — pour assurer la sécurité sans couper dans les maigres services qu'il procure à la population. À moins qu'on ne compte encore davantage sur la communauté internationale pour l'offre des autres services? L'indépendance et la souveraineté nationales, je veux bien, mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions, être conséquent dans sa définition des priorités et surtout dans ses actions. CQFD...

La solution de l'armée, puisqu'on en parle — elle est à l'étude en ce moment, Martelly ayant confié la réflexion à une commission civile qui a jusqu'au 1er janvier pour se prononcer sur la pertinence, et le cas échéant sur le calendrier de mise en oeuvre, la mission et la philosophie d'une éventuelle force armée en Ayiti — éveille aussi dans le contexte les fantômes d'une institution qui a historiquement été le véhicule de la répression, du glissement de l'intérêt public vers des intérêts particuliers.. Et admettons que Martelly soit bien intentionné. Que cette armée soit fonctionnelle, transparente, objective, qu'elle contribue réellement à la protection de la population et puisse agir en remplacement de la MINUSTAH. Admettons. Se pose toujours la question de la continuité politique d'une telle décision/responsabilité. Ce qui rejoint un autre argument soulevé lors de la conférence de Corten, à savoir la tradition de «gouvernement des hommes» en Ayiti, par opposition au «gouvernement du peuple» — bien que cette idée soit elle-même discutable, je le concède.

Ça soulève une autre question en lien avec le texte que tu m'as envoyé. Est-ce que les exactions, les violences, les violations des droits de l'Homme, sont plus justifiables si commises par des «nationaux»? Attends avant de me lancer des roches, je sais que c'est une question délicate et polémique. Dans ma petite tête, ces exactions/violations ne sont bien évidemment justifiables en aucun cas. Mais Ayiti n'a pas encore d'étoiles dans son cahier au chapitre des droits de l'homme... Bien sûr, la MINUSTAH, en tant qu'entité exogène sensée amener la «stabilité» ne devrait pas être un agent déstabilisateur. Elle reste toutefois une organisation faite d'hommes dotés d'un jugement qui leur est propre, ce qui ne les soustrait pas pourtant au regard que les Ayisiens posent sur eux en tant qu'individus identifiés à un groupe.. Idéalement, la MINUSTAH répondrait de ses actes — et de ceux de ses représentants — en cessant de se cacher derrière les masques des relations publiques et de la diplomatie. Mais l'analyse de M. Frantz occulte certains faits. Il faudrait peut-être poser la question que je pose aux gens compétents qui ont perdu leur travail au sein de l'administration publique parce qu'un certain Aristide avait décidé que les institutions publiques — les ministères, les hôpitaux, les écoles, les universités, etc. — devaient être gouvernées par le bon peuple — même si inexpérimenté — qui s'est empressé de répéter ce qu'il reprochait aux gens qu'il venait de virer, ou encore à ceux qui ont senti leur vie menacée et ont été «forcés» d'émigrer...

Tout ça pour dire que je trouve la question soulevée dans le texte — la question des relations entre le «peuple» et la MINUSTAH et surtout celle des bénéfices apportés par cette dernière — un peu mal posée. Je veux dire qu'il manque des éléments de contexte — la relation entre le «peuple» et l'État, notamment, ou celle des bénéfices apportés par ce dernier... La MINUSTAH a été instaurée en 2004 en réponse à des violations explicites des «droits de l'Homme, en particulier à l'encontre des populations civiles». Dans le meilleur des mondes, la question ne se serait pas posée si l'État avait été en mesure de prévenir de telles violences, voire s'il n'avait pas provoqué leur éclosion. Et je ne suis pas certaine qu'il serait en mesure de le faire aujourd'hui — de «mettre fin à l'impunité», pour reprendre les termes de la résolution 1542 du Conseil de sécurité. C'est une question complexe, qui est souvent traitée de façon émotionnelle et en surface et à laquelle il n'y a pas de solution clé en main. Est-ce que ça serait mieux sans? Ou à l'inverse, est-ce que ça pourrait être pire? Est-ce que la MINUSTAH est vraiment là pour répondre à une menace à la sécurité internationale ou pour répondre à une menace d'Ayiti contre elle-même? Je ne sais pas... Si quelqu'un sait, qu'il lève la main droite et dise «je l'jure».. et surtout, qu'il le démontre!

samedi 12 novembre 2011

Pourquoi pas Haïti?

Dany Laferrière (Photo : Le Matin)
Le Festival du film québécois en Haïti bat actuellement son plein à Port-au-Prince. Quatre jours de projections, de causeries et… de Dany Laferrière, à qui est dédiée cette deuxième édition du festival organisé par la Fondation Fabienne Colas.

Laferrière, ses films et ses oeuvres qui ont nourri plusieurs longs métrages sont à l’honneur. On pourra voir Le goût des jeunes filles, Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer, Vers le Sud, Comment conquérir l’Amérique en une nuit, ainsi que La dérive douce d’un enfant de Petit-Goâve, portrait documentaire de l’auteur réalisé par le cinéaste et photographe Pedro Ruiz. L’auteur est aussi venu faire la lecture de son livre pour enfants Je suis fou de Vava aux tout-petits et la promotion de son dernier bouquin, L’art presque perdu de ne rien faire. Dans l’intervalle, on a l’impression que c’est Port-au-Prince qui respire au rythme de Laferrière, alors que l’inverse émane de tous ses livres. L’auteur est partout : à la télé, à la radio, dans les journaux. Tout le monde veut son petit bout du prix Médicis 2009 et de la dernière mouture du dictionnaire Larousse…

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Il était là, hier, à l’Institut français, pour la projection de Pourquoi pas Haïti?, un documentaire de Réal Barnabé, ancien journaliste à Radio-Canada. Le reportage, originalement diffusé sur RDI à l’émission Les grands reportages, est le miroir de Pourquoi Haïti?, réalisé cinquante ans plus tôt par la célèbre journaliste québécoise Judith Jasmin.

Le journaliste et vice-président de la Fondation Fabienne Colas, un amoureux d’Ayiti qui a séjourné dans l’île des dizaines de fois depuis les années 1970 et qui y dirige aujourd’hui Enfòmasyon Nou Dwe Konnen (News you can use) — un projet d’Internews qui diffuse quotidiennement vingt minutes d’informations en créole sur plusieurs chaînes de radio locales — pose à travers ce documentaire affecté la question suivante : qu’est-ce qui a changé dans la situation des Ayisiens en cinquante ans?

Intégrant des images du reportage original et interrogeant les protagonistes rencontrés par Judith Jasmin en 1959 — dont les intellectuels Mirlande Hippolyte-Manigat, constitutionnaliste, enseignante et candidate défaite aux élections présidentielles de 2010 et son mari Leslie Manigat, historien et ancien président de la République renversé par un coup d’État en 1988 —, Réal Barnabé fait le triste et évident constat que les conditions de vie ne se sont guère améliorées depuis le temps. Qu’elles se sont probablement même détériorées avec les chocs engendrés par la mondialisation économique et la turbulence politique d’une part, mais aussi, évidemment, avec le séisme dévastateur du 12 janvier…

Le réalisateur a cependant eu la bonne idée d’entrecouper les témoignages touchants et désespérés des Ayisiens de la rue — des marchandes qui font commerce quotidien pour un petit rien, de jeunes chômeurs qui jouent aux dominos à longueur de journée, des enfants qui font l’école buissonnière pour aider leurs parents à joindre les deux bouts — avec ceux d’idéalistes de la jeune génération, pleins de projets ambitieux et de rêves pour leur pays, laissant filtrer un peu de lumière dans ce film et ce pays aux contours de désespoir.

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La projection était d’ailleurs suivie d’une table ronde sous le thème «Rester en Haïti pour contribuer à son développement». Le réalisateur, les jeunes interviewés dans le documentaire et le représentant de Droits et démocratie en Haïti ont répondu aux questions du public.. et de Dany Laferrière.

Malheureusement, les questions — surtout des commentaires en fait, dans une habitude bien ayisienne d’avoir une opinion critique et des positions bien campées sur tout — ont surtout porté sur le film, écartant le débat de ce qu’il était sensé être. Pourquoi tel ou tel choix éditorial? Je ne suis pas d’accord avec la façon de représenter tel ou tel aspect de la réalité ayisienne. Pourquoi on ne voit pas la classe moyenne — la question de Dany Laferrière, qui s’en est allé avant même d’obtenir la réponse…? Il aurait fallu parler plus de l’implication de la communauté internationale. Je pense que. Je ne suis pas d’accord avec. Se pa fot mwen. Bla bla bla…

Une intervention proposée par un jeune ingénieur qu’on voit dans le film m’a remis sur la route de l’espoir. Il a dit quelque chose qui sonnait comme : il faudrait être capables de réfléchir ensemble sur ce que l’on veut pour ce pays, établir des bases communes pour aller de l’avant, agir. Tèt ansanm. Une pensée collectiviste. C’est de ça que ce pays aux intérêts individuels a le plus besoin… Merci jeune homme.

mercredi 19 octobre 2011

Du ciment social...

Michel Martelly et Muhammed Yunus. 
 
Le prix Nobel de la paix et père du microcrédit, Muhammed Yunus était en ville la semaine dernière. Il s'est entretenu jeudi avec le président Martelly, avec qui il collabore au Conseil consultatif présidentiel pour l’investissement (CCPI), lancé officiellement le mardi 20 septembre lors de la visite présidentielle de Martelly à New York dans le cadre de la 66e Assemblée générale des Nations unies.

Le «banquier des pauvres» est venu en Ayiti présenter son concept de «social-business», ce pied de nez à l'ordre néolibéral qui instrumentalise l'économique pour faire du social. Et pas dans le sens de 5 à 7, messieurs, dames. Dans le monde de Yunus, le profit n'est ni sonnant, ni trébuchant, ni bling bling. Il est plutôt progrès, réponse à des problèmes sociaux en apparence insolubles. Comme la malnutrition et le chômage dans son Bangladesh natal. Ou comme la déforestation et le chômage ici même en Ayiti.

«Il y a le monde des affaires. Il y a le monde des œuvres de bienfaisance. Pourquoi ne pas prendre ces deux idées et essayer de faire de l'argent tout en résolvant des problèmes sociaux?», a demandé celui qui s'est joint à la multinationale française Danone pour élaborer un yogourt riche en micro-nutriments destiné à nourrir les enfants malnutris du Bangladesh tout en fournissant des opportunités d'emploi à leurs parents via la construction et l'exploitation sur place d'usines alimentées à l'énergie solaire et au biogaz.

La lutte de Yunus contre l'ordre établi n'a cependant pas toujours été facile. Celui qui a vérifié empiriquement sa théorie sur le microcrédit en prêtant 27 dollars à 42 personnes en 1977 et qui a, après cette expérience concluante, fondé la Grameen Bank en 1983, a récemment été écarté du conseil d'administration de cette dernière. Il avait dépassé l'âge légal de la retraite — 60 ans — selon les lois bengladaises, perdant ainsi le privilège d'administrer une entreprise publique. Refusant de céder et plaidant une «attaque personnelle» des autorités destinée à mâter son ambition politique de fonder un parti pour dénoncer l'intéressement indécent des dirigeants pour «l'argent et le pouvoir», Yunus a finalement été débouté par la Cour suprême en mai dernier. Il a été remplacé par son adjoint, Nurjahan Begum.

Stanley Pierre, un étudiant de 25 ans fréquentant le laboratoire informatique financé par le Grameen Creative Lab, une fondation qui octroie des prêts pour financer des entreprises sociales et qui a ouvert un bureau en Ayiti après le séisme du 12 janvier, à qui Yunus proposait de devenir un créateur d'emplois plutôt que d'en chercher un, a relancé le principal intéressé : «C'est impossible pour un jeune entrepreneur de faire du social-business en Ayiti. C'est seulement quand nos affaires connaîtront un réel succès et quand nous nous serons occupés de nos familles que nous pourrons songer à venir en aide à la communauté», a-t-il dit, pessimiste.

En effet. Avant de penser fonder le «social-business» en Ayiti, il faudrait peut-être cimenter le «social» tout-court...

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Font également partie du CCPI [sans nécessairement verser dans le «social-business»] :

L’entrepreneur et star du hip-hop, Wyclef Jean,
L’ex-Premier Ministre de la Jamaique, Perival James Patterson,
Le PDG de la Digicel, Denis O’brien,
Le Maire de Montréal, Gerald Tremblay,
L’envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti, Mme Michaelle Jean,
L’ex Président de la Colombie, Alvarez Uribe Velez,
L'ex Président des États-Unis, Bill Clinton,
Le Conseiller Principal du Président, et co-Président du Conseil M. Laurent Lamothe

vendredi 14 octobre 2011

Avoir un gouvernement (2)

Le Sénat a finalement approuvé, à 3h15 cette nuit, le document et le cabinet présentés par Gary Conille. Après dix heures de débats sous forme de questions-réponses, 16 sénateurs ont voté pour la proposition, quatre contre et cinq se sont abstenus, selon ce que rapporte ce matin l'agence HPN.

«Je m'engage à être à la hauteur de la confiance que vous avez placée en moi», a répondu le principal intéressé au président du Sénat, qui a plaidé dans son discours final qu'il était urgent d'améliorer la situation de centaines de milliers de Portauprinciens qui vivent toujours dans des camps de sinistrés après le séisme du 12 janvier — propos recueillis dans Le Nouvelliste.

Le nouveau Premier ministre doit maintenant se prêter à un exercice similaire devant la Chambre des députés, qui avait approuvé sa candidature à l'unanimité lors de la première étape du vote technique.

jeudi 13 octobre 2011

Avoir un gouvernement...

Le premier ministre Gary Conille en est presqu'officiellement un. Il a présenté aujourd'hui son cabinet ministériel et sa politique générale au Sénat.. qui lui posera des questions sur ces contenus toute la nuit avant de voter officiellement pour ou contre l'orientation qu'il souhaite donner au gouvernement. Après quoi viendra, si Dieu le veut, le tour de la Chambre de parlementaires.

Les propositions du Dr Conille, qui a difficilement été ratifié par le vote technique de la semaine dernière au Grand corps [malade] (17 pour, 3 contres et 9 abstentions) après avoir joui de l'unanimité à la Chambre basse, sont en effet encore à cette heure débattues.

Cinq mois de jeux de coulisse et de joutes oratoires après l'assermentation du président Martelly, le gouvernement ressemblerait donc à cette liste, que je me permets de reproduire, même si elle n'est qu'officieusement officielle, et non encore publiée dans Le Moniteur, l'organe officiel du gouvernement s'il en est et dont les textes ont, semble-t-il, «force» de loi :
  • Thierry Mayard-Paul : Ministres de l’Intérieur, des Collectivités territoriales et de la défense (chef du cabinet Martelly)
  • Laurent Lamothe : Ministre des Affaires étrangères et des Cultes (équipe Martelly)
  • Lemercier George : Ministre de l’Économie et des Finances
  • Wilson Laleau : Ministre du Commerce et de l’Industrie (équipe Martelly)
  • Florence D. Guillaume : Ministre de la Santé publique (proche de la première dame)
  • Josué Pierre-Louis : Ministre de la Justice (équipe Martelly)
  • Réginald Paul : Ministre de l’Éducation nationale
  • Hébert Docteur : Ministre de l’Agriculture
  • Jacques Rousseau : Ministre des Travaux publics et de l’Energie
  • Stéphanie Villedrouin : Ministre du tourisme
  • Joseph Ronald Toussaint : Ministre de l’Environnement (choix INITE)
  • François Michel Lafaille : Ministre des Affaires sociales (choix du G16)
  • Yanick Mezil : Ministre à la Condition féminine
  • René Jean Robert : Ministre de la Jeunesse et des sports (choix AAA)
  • Choiseul Henriquez : Ministre de la Culture (choix INITE)
  • Ralph Ricardo Théano : Chargé des Relations avec Parlement (équipe Martelly)
  • Garry Conille : Ministre de la Planification
Il est à noter que tous les ministères opérationnels sous l'administration précédente sont conservés. Et que le Dr Conille cumulerait les postes de Premier ministre et de Ministre de la planification et de la coopération externe.

Pour ce qui est de la politique générale, si on en a la patience, il est possible de lire le document de 93 — ou 97 pages, ce n'est pas clair! — en quatre parties publiées sur le site Haïti libre ici, ici, ici, et ici.

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Le bouillant sénateur Steven Benoît vient de lâcher le micro après une prestation toute en gesticulations et en cris — mais en Créole. La parole revient maintenant à Gary Conille, qui prend des notes pour répondre aux sénateurs qui se présentent par à-coups de trois à la suite. Belle occasion pour aller dormir...

On vous tient au courant demain...

Le malaise des belles-mères

Martelly et «Titid», après une rencontre de 4h à la résidence de l'«ex»
Le président Martelly effectue ces derniers jours, tout sourire et «tèt kale», une tournée des anciens dirigeants du pays à l'occasion, dit-il, de la «semaine de la réconciliation nationale». Parmi les huit «ex» encore vivants et résidant au pays, deux noms retiennent incongrument l'attention : Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier et Jean-Bertrand Aristide, tous deux rentrés d'exil cette année.

Le premier est revenu en Ayiti un an et quelques jours après le séisme du 12 janvier 2010, profitant de la horde de journalistes internationaux venus dans l'île pour briser 25 ans d'exil forcé en France. Des poursuites judiciaires pour détournement de fonds et violation des droits de la personne ont été déposées contre lui peu après son retour. Ces poursuites, qui le contraignent théoriquement à résidence, n'entachent toutefois [et étrangement] pas trop sa popularité. Des manifestants — qu'on peut facilement imaginer avoir été encouragés par d'autres incitatifs — et les avocats qui le représentent, sont récemment venus perturber la conférence de presse organisée pour la diffusion du rapport «On ne peut pas tuer la vérité», d'Amnesty International.

«Titid», quant à lui, est rentré d'un séjour forcé de sept ans en Afrique du Sud, deux jours avant le deuxième tour des élections du 20 mars dernier. Il avait été renversé par un coup d'État [auquel aurait été affilié Michel Martelly, alors roi du carnaval] une première fois en 1991, puis une deuxième et [alors] définitive fois en 2004, à la faveur d'une rébellion d'anciens membres de l'armée. Discret depuis son retour au pays, il vient toutefois d'inaugurer la réouverture de l'Université de la Fondation Aristide, fermée lors de son départ forcé en 2004, avec l'admission d'une cohorte de 126 étudiants en faculté de médecine — non encore reconnue par l'État haïtien. Plusieurs analystes estiment que l'ancien leader, et «secrétaire général à vie» du parti Lavalas, attend le dégonflement du phénomène Martelly avant d'effectuer un retour à l'avant-scène politique — peut-être à l'occasion des élections sénatoriales de novembre...

«Je souhaite que les leaders anciens et actuels puissent s’unir en vue de travailler au progrès d’Haïti», a martelé Martelly à Radio Kiskeya, lors d'une visite à la résidence de Prosper Avril (président dans l'intervalle 1988-1990), dont il a salué le passage à la tête de l’État et les longues années passées au service de l’armée. Le chef d'État doit également rencontrer les «ex» René Préval (1996-2001 et 2006-2011), [le mari de la rivale de Martelly aux dernières élections, Mirlande Manigat] Leslie Manigat (fév-juin 1988) et Boniface Alexandre (chef du gouvernement intérimaire de 2004-2006).

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Martelly et Duvalier. À gauche, Nico Duvalier, le fils
de «Baby Doc» et consultant du président. Photo: AP
Admettons que l'exercice de mémoire soit compliqué dans un pays où l'espérance de vie est de 59 ans et où presque 36% de la population a moins de 15 ans. Admettons qu'une population vivant avec moins de deux dollars par jour dans une proportion de 78% et avec moins d'un dollar par jour à 54% ait d'autres chats à fouetter que de se questionner sur la rationalité de tisser des liens avec des «ex» ayant des bilans plus que mitigés en termes de développement.

Reste tout de même le message confus et contradictoire qu'envoie cette opération de relations publiques : comment un président qui a jusqu'à maintenant fondé sa stratégie — comme bon nombre de politiciens — sur l'avenir et sur le changement peut-il invoquer les fantômes d'un passé trouble et douloureux pour faire avancer le pays? Tout ça alors que le premier ministre désigné se débat comme un diable dans l'eau bénite avec les élus actuels pour pouvoir former son saint gouvernement?

Il faudrait peut-être quelqu'un pour rappeler au numéro un de l'État ayisien — ou de ce qu'il en reste — que sa «semaine de la réconciliation nationale» a commencé ce lundi par la Journée internationale de la santé mentale...

dimanche 2 octobre 2011

Chauffer la couette

Des vieux qui se dérident, des jeunes qui prennent conscience de ce qu'a pu endurer celui qui les a mis au monde, des propriétaires de pénis qui les aiment tant : les vagins étaient à l'honneur hier au Villatte de Pétionville, transformé en chaude et humide scène de théâtre à l'occasion des courus et créolisés Monologues du vagin. Et aller au théâtre en Ayiti, ça implique avoir droit à deux spectacles pour le prix d'un...

Cinq actrices, 17 tableaux basés sur les témoignages de 200 femmes et joués dans un décor épuré flanqué de trois tabourets de bar, et un seul sujet par où tout a commencé. Premier spectacle, fort réussi malgré quelques petites difficultés techniques et un confort compromis par la proximité des voisins. 

Deuxième spectacle que ces 400 Ayisiens qui s'en donnent à coeur joie dans l'assistance, rigolant bruyamment, tapant des mains et lançant même des blagues coquines et de circonstance à l'intention de leurs homologues et des protagonistes de la pièce. Jamais vu un public aussi participatif et aussi plongé dans l'action que celui-là, déchaîné et, il faut le dire, apportant valeur ajoutée et couleur locale au spectacle — malgré quelques petites incartades vulgaires de coqs en manque d'attention et d'autorité voulant marquer le territoire de la basse-cour.

Car l'heure était au «plaidoyer pour le respect de la femme, de son sexe et de la sexualité», comme disait joliment le carton d'invitation. Et messieurs, ce n'était pas la peine d'essayer de «voler l'show» avec vos répliques cinglantes qui ne nous laissaient qu'envisager votre intimidation, votre malaise et votre manque de doigté devant le beau sexe.

Du reste, pas une seule fois nos cinq déesses n'ont décroché pendant ce marathon de deux heures — surtout pour Cynthia Jean Louis, de quasi toutes les scènes et excellente au bord des larmes, de l'extase, de l'hystérie comme de l'hilarité. Fabienne Colimon, au crépuscule de la vie, Huguette Saint-Fleur en belle de jour et Ange Bellie Andou en belle de nuit complétaient la distribution de la dramaturge et scénariste Florence Jean Louis Dupuy, la tante de l'autre, qui a également fait une brève apparition au début de la pièce... et qui nous a promis avant de tirer le rideau que la prochaine fois, on saurait «tout, tout, tout, on saurait tout sur les zizis».

Tant qu'on peut encore profiter de notre petit quinze minutes de gloire... Et en espérant que ces hommes n'ont pas compté le temps comme on ne compte pas les mots créoles pour poursuivre l'hommage à la chat, au bobot, au krek, à la chouchoun, à la koukoun, à la bouboun, à la foufoun, anba la...

jeudi 22 septembre 2011

La chouchoun[e] parlera pour les Ayisiennes


 En y pensant rapidement, je connais au moins deux personnes à qui on attribue le surnom affectueux de «chouchoune». En kreyol, c'est un peu comme si elles se faisaient appeler «vagin» par celui qui les a à proprement parlé mises au monde... Où je veux en venir, c'est que Les Monologues du vagin, pièce de théâtre phare du post-modernisme féministe de l'Américaine Eve Ensler, sera à l'affiche à Port-au-Prince au mois d'octobre prochain.


Ce n'est pas la première fois qu'est présentée Pawòl Chouchoun, version haïtianisée des Monologues, à Port-au-Prince. L'Atelier Théâtre Éclosion et son audacieuse fondatrice et metteure en scène Florence Jean Louis Dupuy, ont déjà goûté le fruit défendu dans la capitale ayisienne, sa banlieue (Miami) et sa soeur nordique (Montréal). Et avec un retentissant succès, s'il-vous-plaît.

Adaptée à 70% en français et à 30% en kreyol ayisien, la pièce traduite dans 45 langues et jouée dans 135 pays — merci aux recherchistes de Radio-Canada — aborde un sujet tabou en Ayiti. Un sujet tabou en Ayiti, mais aussi dans le reste du monde, malgré toutes ces années écoulées depuis la révolution sexuelle. 

«Je dis "vagin" parce que j'ai lu les statistiques. Partout les vagins subissent de mauvais traitements. Des centaines de milliers de femmes sont violées chaque année dans le monde. Cent millions de femmes ont subi des mutilations génitales. La liste est longue. Je dis "vagin" parce que je veux que cessent ces horreurs. Et je sais qu'elles ne cesseront pas tant que nous n'admettrons pas qu'elles existent. Et le seul moyen de le savoir, c'est de permettre aux femmes de parler sans peur d'être punies ou sanctionnées», dit Eve Esner.

Le texte, basé sur plus de 200 entretiens avec des femmes de tout horizons, laisse effectivement la place aux sensations, aux aspirations, aux angoisses et aux joies des femmes, sujet dont on ne parle peu ou pas dans ce pays coincé entre tradition et modernité et dominé par un discours masculiniste. Chapeau, donc, à ces femmes qui osent. On vous tient au courant, en espérant que ces Pawòl Chouchoun ne se retrouvent pas de le mot de Cambronne...

mercredi 21 septembre 2011

Le club des 28 what?

Une délégation ayisienne officielle de 28 personnes est à New York depuis dimanche dernier, où débutait hier (mardi) la 66e Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU).

28! Pourquoi ne pas tourner le fer dans la plaie et pousser l’audace jusqu’à un chiffre rond, pendant qu’on y est! Du lot, le président Michel Martelly et sept membres de son cabinet — dont le premier ministre désigné et avalisé par la chambre des parlementaires, mais pas encore par le Sénat, Gary Conille —, mais aussi la première dame d’Ayiti, son fils Michel-Olivier (conseiller à la Jeunesse et aux Sports!), un photographe officiel, un vidéographe officiel, un directeur des communications et un directeur de la production — c’est que ça communique beaucoup, même si aucun représentant de la presse ayisienne n’est du voyage — quatre agents de sécurité, une intendante, une conseillère pour la première dame — il faut sourire, Mme Martelly, surtout, il faut sourire. Même si c’est à pleurer…

Bon, certains membres de la délégation (dont l’intégralité a été publiée dans Le Nouvelliste et par l’agence Haïti Press Network) se trouvaient déjà dans la grosse pomme — six, plus exactement, dont deux conseillers point, conseillers de rien du tout si on remplit ce vide que la nature a en horreur. Mais on peut quand même assez facilement imaginer que c’est l’État ayisien qui paie la facture des 28 — hébergement, nourriture et généreux per diem. Et l’Ayisien a une diète particulièrement salée… Ah, comme il fait bon être membre de l’entourage rapproché du président!

Il n’est pas ici question de discréditer qui que ce soit qui fasse partie de cette équipe d’élite. Plusieurs ont des compétences réelles qui mériteraient jusqu’à un certain point d’être récompensées. Vrai, Ayiti est à l’agenda new yorkais à plusieurs niveaux et à un certain degré technique : discussions lundi avec la Clinton Global Initiative et avec de nombreux et diversifiés acteurs financiers pour attirer l’investissement étranger au pays, renouvèlement du mandat de la CIRH et respect des engagements des donateurs internationaux pour la reconstruction, discours de Martelly à la Tribune des Nations, débats sur l’avenir de la MINUSTAH au Conseil de sécurité vendredi, etc.

Mais 28 — oui, je sais, je n’en reviens pas! Qu’est-ce que ça peut bien camoufler, sinon l’inexpérience démocratique du nouveau président, en poste depuis plus de quatre mois? On sait au moins que ça fera de belles photos de famille… Mais qui a dit que l’élection de Sweet Micky, «se viktwa pou pèp la» (c’est une victoire pour le peuple)?

dimanche 18 septembre 2011

Le roi et l’ordre

Affiche du film «MINUSTAH volè kabrit», Tankou rat pictures
La Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) n'en finit plus de se mettre les pieds dans la bouche (un anglicisme que vous me pardonnerez, c'est pas comme s'ils parlaient tous créole..) — pieds salis dernièrement par une histoire d'abus de pouvoir (pour ne pas dire de viol) de quatre soldats uruguayens à l'endroit du jeune Johny Jean, 18 ans, dans la commune de Port-Salut dans le département du Sud.

La «rumeur» a rapidement fait le tour du pays — et du monde — grâce au Dieu Youtube qui voit tout, sait tout et entend tout, même les gémissements les plus sordides d'un jeune garçon à qui on vole tout ce qu'il a d’avenir devant lui — tsé, la dignité? Les médias nationaux et internationaux ont rapidement relayé la nouvelle, ajoutant l'insulte à l'injure pour la famille du désormais plus mineur et identifié, non plaignant mais à plaindre, Jean.

Le scandale fait suite à une série d’histoires et de rumeurs peu reluisantes pour l'image et la réputation de la force de maintien de la paix de l'ONU. L'introduction dans l’île du choléra en octobre 2010, notamment, que de nombreux observateurs attribuent à grands coups de conditionnel au contingent népalais de la MINUSTAH basé à Mirebalais. Les représentants de la MINUSTAH refusent toutefois d’assumer la responsabilité, voire de s’excuser — que faire de plus maintenant que le mal est fait et que son spectre revient chaque fois qu’il pleut? —, arguant que la souche du bacille vibrio cholerae, très, très, très semblable à celle que l’on retrouve en Asie, est le fait d’une «convergence de circonstances» épidémiologiques, environnementales et sanitaires — selon les conclusions de nombreux experts — et que les plus de 5500 décès et 400 000 personnes touchées ne peuvent être attribués aux casques bleus, faute de «preuve scientifique» irréfutable…

À ces deux scandales d’envergure majeure s’ajoutent les impressions et rumeurs de la population sur les actes de la MINUSTAH. «Volè kabrit», disent tout bas plusieurs Ayisiens au passage des convois de la force de stabilisation, en référence à des histoires de vol de chèvre — un investissement dans un pays où plus de 78% de la population vit avec moins de deux dollars par jour — destinées au barbecue des soldats qui ont aussi la réputation d’envahir les plages et de se donner corps et âme à la fête au premier jour de congé venu. D’où la réputation de «MINUSTAH tourista» : l’Ayisien moyen ne voit malheureusement pas l’impact direct de l’intervention onusienne sur sa vie de tous les jours et tend plutôt à percevoir cette dernière comme une occupation, comme une perte de souveraineté nationale.

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Des manifestations estudiantines ont par ailleurs eu lieu au Champ-de-Mars la semaine dernière pour protester contre la présence de la MINUSTAH. Les étudiants de la Faculté d’ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) ont exigé le dédommagement des victimes du choléra, en plus du retrait définitif des forces de l’ONU. D’anciens militaires sont également venus parader en uniforme afin de réclamer le retour de l’Armée d’Ayiti — démobilisée en 1994 —, déposant du même coup un document à cet effet au Palais national.

Le Champ-de-Mars, où logent une dizaine de milliers de déplacés depuis le séisme du 12 janvier, avait été interdit d’occupation par les autorités la veille. La centaine de manifestants a été dispersée par la PNH au moyen de gaz lacrymogènes, importunant les déplacés d’une part, et perturbant le fonctionnement de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti adjacent. Réfugiés dans l’enceinte de la Faculté d’ethnologie de l’UEH et répliquant à l’aide de jet de pierres et de barricades de pneus enflammés, les manifestants ont rapidement été encerclés par les forces de l’ordre et par… la MINUSTAH.

Des manifestants fuient les forces de l'ordre (Ramon Espinosa, AP)
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Un sondage mené sur Internet par l'agence de presse Haïti Press Network (HPN) établit à ce jour que près de 64% des répondants croient qu'Haïti peut maintenant se passer de la force de maintien de la paix de l'ONU, qui devait originellement, en 2004, rester en place pour six mois, le temps que ne retombe la poussière soulevée par l'insurrection de groupes armés dans le Nord de la République et par le départ hâtif d'un Jean-Bertrand Aristide qui laissait le pays aux mains d'un gouvernement intérimaire n'ayant d'autre choix que de demander l'assistance de la communauté internationale.

Les presque deux tiers des 1900 répondants — des gens lettrés et ayant accès à Internet au pays, mais aussi à l'extérieur, s'entend — croient donc que le pays est en mesure de se débrouiller seul pour gérer l’instabilité et l’insécurité chroniques de la République. Ou du moins qu’il est capable de le faire dans des proportions semblables à celles du travail accompli par la MINUSTAH. Cette dernière, dont le budget de fonctionnement est fixé à plus de 850 millions de dollars par année — dont quelques millions s’ajoutent annuellement à dette extérieure d’Ayiti — assure entre autres le renforcement des capacités étatiques en termes d’état de droit et de justice, en plus de fournir un appui à la professionnalisation du corps policier local (la Police nationale d’Haïti (PNH)) et de contribuer à l’amélioration d’infrastructures — routes, postes de police et postes frontaliers, pénitenciers, etc.

Le coup de sonde ne reflète cependant pas l’opinion du président Martelly, qui déclarait cette semaine au Nouvelliste que le retrait de la MINUSTAH «doit être réalisé et réalisable à partir du moment où [une] force [nationale] peut jouer le rôle de la MINUSTAH», ajoutant que «la MINUSTAH travaille pour le peuple d'Haïti et pour Haïti, [qui a] besoin de l'ordre, de la paix afin d'avancer dans le développement économique»… Le président ayisien, qui avait promis en campagne électorale la création d’une force de défense nationale armée, demeure donc patient et semble a priori miser sur un «retrait graduel» de la force de maintien de la paix de l’ONU, dont le mandat doit théoriquement être renouvelé à la mi-octobre — les protestations sont donc encore à anticiper...

Une prise de position qui concorde avec le plus récent rapport de l’ONG International Crisis Group, Keepin Haiti Safe : Police Reform, qui soutient que le chemin à faire est encore important pour que la PNH puisse prendre le relai de la MINUSTAH et que soient sécurisées les frontières terrestres et maritimes contre le crime organisé, la drogue, le trafic d'armes et la traite des humains et que prenne fin le règne de l’arbitraire devant la loi. Les progrès enregistrés ont été fragilisés par le séisme du 12 janvier, poursuit le rapport, et la réforme des capacités institutionnelle et opérationnelle doit se poursuivre afin d’amoindrir la vulnérabilité du pays face aux crimes violents, à la corruption et à l’instabilité politique. Mais la paix peut-elle réellement cohabiter avec l’extrême pauvreté? Et qu’est-ce qui vient en premier dans ce cercle vicieux, la stabilité sociale ou le développement économique?

Pour adresser ces questions fondamentales, il faudra aller plus loin que les revendications nationalistes liées à un retrait hâtif de la MINUSTAH. Il faudra notamment une volonté politique marquée, que le président ne peut porter seul. Et c’est là que le bât blesse : comment, dans un pays aussi politiquement divisé et aussi habitué aux jeux de coulisse peu transparents et intéressés, faire en sorte que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire travaillent main dans la main pour [re]construire Ayiti? C’est là un apprentissage que le pays en entier devra faire : apprendre à travailler dans l’intérêt de la population au sens large afin que cette dernière retrouve un minimum de confiance envers ses institutions…

lundi 1 août 2011

Ours à gants blancs

Moins de 24 heures top chrono avant mon retour en sol québécois. Retrouver la famille, les amis, la soupe tonkinoise (et la poutine), le rock, se la couler douce, l'eau chaude et la machine à laver - avant de mieux revenir. Pour l'instant, le temps est clément sur Port-au-Prince et il pleut des fleurs de bougainvilliers sur le barbecue. Aucune crainte. La famille ayisienne souligne mon départ en konpa, grillades et Prestige. Alèz. Poze. Nou la.

Mais dans les heures à venir - je ne sais pas si Jack Bauer a un top chrono qui va au-delà de 24h - une tempête tropicale est attendue dans les Antilles, d'après le National Hurricane Center de Miami. Pas que ce soit la première annoncée qui ne se présenterait pas, mais cette fois, je la prends un peu personnel : elle s'appelle Emily.

J'espère surtout que je n'ai pas (trop) nui. J'ai essayé de m'abstenir de jouer à l'inflation qui goûte le rhum sour à dix piasses. Je me suis faite joyeusement avoir en toute connaissance de cause en espérant que les Américains paieraient le double, je l'avoue. J'ai eu des enfants - des enfants de la rue, Delmas 75, pour ceux que ça intéresse. Et j'ose espérer que quelqu'un prendra le relais. Non, je n'espère pas. Ce que je veux, c'est que quelqu'un les envoie à l'école pour vrai.. Et qu'eux comprennent l'importance d'aller à l'école dans cet univers de "gran gou" au jour le jour.

J'espère ne pas avoir trop chamboulé votre quotidien, même si je le sais ardu en tout temps, comme un ouragan qui se lève à 4-5h du mat' et qui trime dur jusqu'à ce que le jour fasse place à la nuit - parfois même plus. J'espère aussi vous revoir - très rapidement.

À très bientôt. Merci pour l'accueil. Je n'ai pas semé le vent et j'espère que ma tempête vous épargnera...

samedi 30 juillet 2011

Dessine-moi un pays

L'une des réflexions les plus imbéciles qu'il m'ait été donné d'entendre depuis que je suis ici – et il y en a eu plusieurs – est sortie de la bouche et de la tête d'un médecin. «Il y a tellement de choses écrites sur les murs à Port-au-Prince, pas besoin de livres!», a-t-il dit lâché en plein blokis (embouteillage) candidement mais le plus sérieusement du monde, affairé qu'il était à déchiffrer slogans politiques, publicités agressives, versets religieux et autres messages détournés ou non de l'OCDE («L'administration d'un pays est régie par des lois point barre» vient d'apparaître à deux pas du bureau et je doute que le «point barre» soit sorti de la bouche de l'OCDE).

On s'entend, la reconstruction d'Ayiti, et plus largement celle de l'identité ayisienne, ne peut pas passer par les «JC Duvalier, bon retou», «Mulet (ex-chef de la MINUSTAH) + OEA = kolera» ou «Cris kapab» graffités à la va-vite sur les murs craquelés de la capitale. Et aucune obscurité ne pourrait justifier qu'apprendre à lire se fasse à grand coup de fautes d'orthographe et de slogans partisans, voire parfois haineux, dans la rue. La République a un pas de géant à faire en termes d'éducation, c'est clair. Mais elle a surtout un pas de géant à faire en termes d'accès à cette éducation, aujourd'hui apanage quasi exclusif d'une minorité de nantis qui fait tout pour conserver la mainmise qu'elle exerce sur la gestion des affaires de l'État et donc de la définition du «vivre-ensemble».

Il se trouve plusieurs penseurs pour nier l'existence même d'une société civile ayisienne capable de s'organiser et d'articuler ses demandes à l'État, voire le remettre sur le droit chemin. D'autres admettront qu'elle existe, mais s'entendent pour dire qu'elle vivote à l'état embryonnaire. Absence de délibération des enjeux les plus cruciaux dans l'espace public, mécanismes de reddition de comptes (parfois volontairement) inopérants, État faible, corrompu et moribond et mobilité sociale engluée dans des préjugés coloniaux et bourgeois. Le tout, exacerbé par la présence exponentielle de la société civile internationale depuis le 12 janvier 2010 – les ONG qui oeuvrent dans certains secteurs ont parfois des budgets de fonctionnement surpassant largement les capacités des ministères ayisiens. Nous sommes dans la République des ONG, pas celle des Ayisiens...

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Dans ce joyeux bordel de dépendance, d'inégalités et d'espace public anéanti, un graffiteur utilise le mobilier urbain à sa façon afin de distiller un message d'espoir. Dans la clandestinité et l'anonymat de la nuit d'abord, puis à la lumière du grand jour depuis le séisme, Moïse Jerry Rosenbert tente de mobiliser la jeunesse ayisienne, d'arracher un sourire et une réflexion sociale aux passants et de faire bouger les choses avec ses canettes de peinture en aérosol. 

«Je fais du graffiti pour que les gens se rendent compte que nous devons cesser de galérer, de se battre les uns contre les autres. Nous devons nous mettre ensemble pour un plus grand projet : construire notre pays ensemble, aller de l'avant», confiait-il au Guardian six mois après le tremblement de terre. «Ce que je veux, c'est une Ayiti nouvelle. Je veux que la jeunesse prenne le flambeau, qu'elle crée quelque chose de nouveau. Par le graffiti, je cherche à rejoindre la jeunesse. À la rendre plus forte, qu'elle prenne conscience qu'elle peut s'impliquer dans le développement et les affaires du pays.» 

La popularité grandissante de Jerry l'a aussi amené à s'impliquer directement dans les camps. Embauché par des ONG, l'artiste urbain a été appelé, par exemple, à illustrer les notions d'hygiène de base de façon à prévenir la propagation des maladies infectieuses. Et le message passe nettement mieux qu'avec les méthodes traditionnelles des affiches ou des tracts, croit Caritas, l'une des ONG qui a fait appel aux canettes de Jerry. «C'est une obligation pour moi d'en faire plus pour la population», croit le principal intéressé.

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Ça prendra évidemment plus que les tags de Jerry pour changer Ayiti et la dépatouiller de ce bourbier infini dans lequel elle est enlisée. Son discours, son implication et surtout ses dessins ajoutent toutefois une touche de couleur à la grisaille monotone et monochrome de la misère. Et ils pourraient éventuellement en rallier et en impliquer d'autres...

La vidéo du Guardian

jeudi 14 juillet 2011

V-turn

11h30-minuit, après un repas bien dansant dans un restaurant de Pétionville. En voiture vers la maison avec ma mère ayisienne, nous croisons une petite chaise en paille tressée à un carrefour. «Ho, ho», dit-elle stressée et méfiante, avant de rebrousser chemin sans fournir de plus amples explications. Son faciès est grave, elle semble turlupinée. Mais elle ne veut pas parler, elle essaie d’oublier. Ou de se faire oublier…

Petite sœur, qui suit dans une autre voiture et apprend gentiment à conduire avec paternel – qui me fournira plus tard les explications les plus amples – , obtempère aussi. Double U-turn dans les rues crasseuses de Port-au-Prince, où une petite chaise en paille toute neuve provoque les changements de direction. Pas question de franchir ce carrefour maudit pour elle non plus.

Nous venons de croiser Papa Legba, le maître vaudou des carrefours et des chemins. Ou plutôt un message qui lui est adressé sous forme de la sollicitation rituelle d’un ounsi (un initié) par un croyant pour que Papa Legba, ce vieillard boitant qui fume la pipe et qui garde la frontière entre le monde des humains et le monde surnaturel – littéralement le St-Pierre des vaudouisants –, rappelle le lwa (l’esprit, le mauvais sort, la force invisible) qui s’est abattu sur la vie du croyant et qui lui cause lambdas tracas.

Tracas comme une perte d’emploi, des ennuis de santé, une querelle avec un voisin ou un ami, une mauvaise récolte, etc. Un événement qui arrive au gré de la trivialité de la vie quotidienne et auquel on attribue la symbolique des divinités de la vie ayisienne.

La petite chaise est l’aboutissement d’un long processus de renvoi. On aura sollicité un ougan (un prêtre vaudou) pour un mal x. Il aura édicté une série d’actions, plus ou moins onéreuses les unes que les autres et selon la nature du mal qui nous ronge, à mener avec un pointillisme scrupuleux étudié au quart de tour. Déposer trois grains de maïs par-ci, assister et participer à une cérémonie dans un péristyle (partie publique du temple où ont lieu les cérémonies vaudou), déposer une offrande auprès du troisième mapou (arbre sacré, résidence des lwas guédé, les esprits de la mort) du rang quatre, acheter un bouquet de telle fleurs, à telle date et le laisser filer sur une eau calme et finalement, déposer une petite chaise en paille tressée au milieu d’un carrefour à quatre têtes (à quatre voies) à une heure bien précise. Et vous m’avez vue venir, si le mal persiste, c’est que l’une des étapes a mal été conduite. Et qu’il faut reprendre le processus du début sous peine de laisser les esprits errer vers des cieux bien plus graves…

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Dans un article sociologique un peu daté mais encore très cité dans le domaine de l’étude des religions et des syncrétismes, Laënnec Hurbon illustre la complexité des liens entre la sorcellerie et les pouvoirs politiques et économiques en Ayiti. Sorcellerie et pouvoir en Haïti, publié en 1979, se penche effectivement sur la recrudescence des fraternités de sorciers observée par Hurbon et ses informateurs de l’époque et le signe, selon lui, d’une «rupture entre le système culturel traditionnel et la nouvelle situation politico-économique dans le pays».

Il faut se rappeler que si le règne des Duvalier avait miraculeusement réussi à assurer une certaine stabilité aux masses silencieuses et dociles malgré la répression jusqu’à la fin des années 1970, la situation politico-économique allait effectivement se dégradant et les ayisiens ne savaient alors plus vraiment à quel saint se vouer – ils ont par ailleurs déterré la sépulture de Papa Doc – qui n’a jamais hésité à détourner la symbolique vaudou à son avantage – et battu ses restes lors de la chute de son fils en 1986.

Selon l’argumentaire d’Hurbon, le pouvoir, tout autant politique que vaudou, quand ce n’est pas leur deux à la fois, rendrait le peuple doublement vulnérable. Effrayé de part et d’autre des sphères confondues de la vie publique et de la vie privée ayisiennes.

«Ce qui nous est indiqué ici, ce n’est pas simplement une impuissance politique qui proviendrait du seul fait qu’on est inscrit dans le champ du vaudou. Ce serait alors tenir le vaudou pour un ordre purement idéologique, dont l’individu pourrait éventuellement se passer. Le vaudou est d’abord un ordre symbolique; à ce titre, il est intimement lié au mode de constitution de la personnalité. (…) C’est à tous les niveaux de la vie quotidienne que l’impuissance est ressentie. Plus qu’une fêlure, un éclatement du système culturel traditionnel se donne à lire dans cette recrudescence de la sorcellerie. Un soupçon généralisé est là. Les règles du jeu sont faussées. Mais un nouveau langage sera-t-il possible sur la table rase de l’ancien? Il est certain, en tout cas, qu’une conscientisation politique des masses qui passe à côté de la problématique du symbolique, ou plus précisément de la crise de l’ordre symbolique, a peu de chance de s’effectuer avec succès,» écrivait Hurbon, sept ans avant la chute de Bébé Doc et son exil en France.

Bref, en Ayiti, que l’on croit ou que l’on ne croit pas, et jusqu’à ce jour, on craint. Le pouvoir du monde des humains et le pouvoir du monde surnaturel.

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Bien des gens ont essayé d’instrumentaliser la religion et son symbolisme – vaudou ou autre – à leur profit politique depuis la chute des Duvalier. Aristide l’avait bien compris et sa récupération de la «théologie de la libération» l’aura porté au pouvoir une première fois en 1991. En 2003, il devait même céder un peu de terrain aux vaudouisants, reconnaissant la religion vaudou par voie juridique à l’occasion d’un arrêt ministériel (http://www.haiticulture.ch/haiti_decret_vodou_religion.html).

Cela a bien entendu été balayé par l’arrivée des troupes de la MINUSTAH en 2004, même si les vaudouisants ont toujours essayé de gagner un peu plus de terrain depuis, notamment en proposant un « avant projet de loi » sur la religion vaudou en Ayiti (http://www.vodouhaiti.org/projet-loi/chapitre1.html) pour asseoir leurs pouvoirs – allant même jusqu’à réclamer l’octroi de passeports diplomatiques pour les membres dignitaires des autorités officielles reconnues… (Article 72 d’un projet de loi demeuré lettre morte depuis).

Le découpage des «Départements ministériels», avec attributions et autres pouvoirs, remonte par ailleurs à 1924. Le «Ministère des Cultes» a depuis subi de nombreuses mutations et est aujourd’hui sous la responsabilité d’un seul homme, qui assume à la fois le poste de Ministre des «Affaires étrangères»…et des «Cultes»… peu importe son allégeance. (http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=44560)

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Ceci n’expliquant pas toujours parfaitement cela, le séisme du 12 janvier a créé un espèce de rebrassage des cartes religieuses. Le vaudou en a été une des grandes victimes (avec le catholicisme), surtout à Port-au-Prince, au profit d’un pentecôtisme qui ne cesse de gagner du terrain depuis les années 1970, selon les explications de Laënnec Hurbon, dans Les religions et le tremblement de terre, paru dans la revue Conjonction.

« En somme, on peut se demander si le vaudouisant n’a pas été plutôt désemparé devant la catastrophe à laquelle son système de croyances ne peut lui donner une explication rigoureuse, ou en tout cas satisfaisante. C’est peut-être pour cela que le vaudou est tolérant, ouvert à d’autres systèmes religieux et culturels au point de pouvoir intégrer maints éléments de ces systèmes, comme on l’observe pour l’utilisation des saints du catholicisme comme support aux divinités africaines », écrit le chercheur, soulignant que les temples vaudou ont ouvert leurs portes à l’Église de scientologie, arrivée dans la capitale seulement neuf jours après le séisme…

« Il n’y a aucun doute que nous disposons là d’un indice d’une religiosité à fleur de peau facilement exploitable dans un contexte du chaos provoqué par le séisme du 12 janvier. Il n’est pas inutile maintenant d’entreprendre quelques interrogations aux niveaux anthropologique et politique sur les enjeux de ce qui paraît être un emballement des religions en Ayiti depuis le tremblement de terre »…

Pas étonnant, considérant tout cela, que Martelly ait chantonné la fin de son discours d’assermentation sur des airs populaires et religieux le 14 mai dernier. Reste maintenant à voir quel saint homme pourra satisfaire les attentes du peuple, du président et de membres d’INITE pour le poste de premier ministre…

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Un professeur de l’université qui dispensait le cours «Religion et modernité» m’a envoyé un courriel sur ma boîte personnelle aujourd’hui – sortez la petite chaise et les grains de maïs. Elle voulait urgemment me parler sur Skype, à mon grand étonnement puisque je n’avais pas, à l’époque, daigné remettre le travail final – la mention « incomplet » figure d’ailleurs toujours à mon relevé de notes.. Moi qui avais eu la brillante idée d’unir économie et religion pour mon travail synthèse, en réfléchissant surtout au phénomène économique des « superchurches » organisées en villages quasi-indépendants aux États-Unis entre autres, je suis maintenant persuadée que je pourrais demander à un ougan de transformer ma note A+ – ou en D-, c’est selon – si je me mettais à réfléchir à la coexistence de la religion et de la modernité…

mercredi 22 juin 2011

Des surpris et des hommes [politiques]

Le candidat au poste de Premier ministre désigné par le président Martelly, Daniel Gérard Rouzier, aura été la première victime du parti INITE — et par la bande, du Groupe des parlementaires pour le renouveau (GPR) —, majoritaire à la Chambre des députés et au Sénat. Et aussi le premier sacrifice humain à l'autel de la politique ayisienne depuis l'élection de celui qui a popularisé le rose.

Des 64 députés présents au vote, 42 ont voté en défaveur d'un PM Rouzier, 19 se sont prononcés pour  sa candidature et trois se sont abstenus. Évoquant tantôt des raisons d'ordre fiscal, tantôt la position de M. Rouzier à titre de consul honoraire de la Jamaïque, ou encore la conformité des documents d'identification soumis aux députés — ses passeports, notamment — la chambre basse réclame un autre candidat. Ils sont cependant plus d'un à croire que ce choix tranché est davantage motivé par des raisons politiques.

«Le résultat du vote prouve que les violons ne s'accordent pas entre le président Michel Martelly et la plateforme INITE, majoritaire dans les deux Assemblées. [...] Si Martelly a bien appris la leçon du vote de mardi, il va rapidement entreprendre les démarches nécessaires auprès du directoire de la plateforme INITE avant de choisir un nouveau Premier ministre», écrit Lemoine Bonneau dans l'éditorial du Nouvelliste au lendemain du vote, rappelant qu'avec une cinquantaine de députés tissés serrés au sein du GPR et 16 sénateurs à la Chambre haute, «la plateforme INITE est incontournable en ce qui a trait à la ratification du choix d'un Premier ministre ainsi qu'à l'approbation de la déclaration de [la] politique générale [de Martelly].»

Premier grand choc de la cohabitation, donc, venu piquer au vif cet hydre à têtes regénérescentes qu'est l'establishment gouvernemental ayisien — en particulier l'INITE par les temps qui courent à rebours — au grand dam d'un Michel Martelly passé au rouge pour l'occasion. «On ne perdra pas de temps. On cherche des solutions. Et mon équipe et moi ne laisserons pas le palais aujourd'hui sans trouver des solutions», a dit Martelly au Nouvelliste, ajoutant, entêté «qu'il ne perdra pas la bataille».
Coincé entre les attentes [élevées] d'un peuple qui vit dans des conditions misérables et qui l'a porté au pouvoir — avec deux gros coups de pouces des États-Unis et de la communauté internationale, il faut le souligner — et celles d'un parti INITE et de toute une classe politique bien plus soucieuse de ses propres intérêts que de ceux du peuple, Martelly, au pouvoir depuis presque 40 jours, devra éventuellement mettre le compromis à son agenda s'il veut pouvoir opérationnaliser son plan des 4E — emploi, éducation, environnement, état de droit...

Le principal intéressé dans ce dossier, Daniel Gérard Rouzier, demeure quant à lui philosophe, selon ses propos rapportés par le Nouvelliste. «J'apprends. C'est un cheminement,» a-t-il déclaré aux journalistes, émettant lui aussi des doutes quant à la nature «technique» de son rejet. «Il se pourrait que je ne corresponde pas au profil de Premier ministre que les députés voudraient voir travailler aux cotés du président», a-t-il nuancé, alimentant le flou sur son éventuelle implication au sein du gouvernement. Plusieurs voient d'ailleurs celui qui est «prêt à se sacrifier pour servir son pays», selon les propos du président Martelly, occuper un poste ministériel important...

Bras de fer politique [qui peut durer longtemps] à renouveler, donc. Pendant ce temps, le président Martelly, dans un message diffusé dans la soirée de mercredi, remercie la population «de ne pas être descendue dans les rues», brandissant la carte de la légitimité «démocratique» au visage des parlementaires et réitérant qu'il est temps que le changement promis prenne place, que la classe politique travaille dans l'intérêt de la population...

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«Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
— Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc. Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.
— Non, j'vous en prie, supplia-t-il. Oh, j'vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait.
Elle se débattait vigoureusement sous ses mains...
— Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il. George va dire que j'ai encore fait quelque chose de mal. Il m'laissera pas soigner les lapins.» — John Steinbeck, Des souris et des hommes

dimanche 19 juin 2011

La ruée vers l’or[dre]

Ils le savaient. Tôt ou tard, ils le savaient que ça allait venir, frémir, détruire… et reconstruire. Les officiels [ou officieux, c’est selon l’intérêt que l’on y trouve] ayisiens auraient dû le savoir aussi. Mais à quoi bon prévenir le peuple quand la manne permet de guérir le portefeuille des nantis et des bien positionnés? Pour des siècles et des siècles. Amène [le ca$h].
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«La ruée vers l’or commence», sous-titrait Kenneth Marten, ambassadeur des États-Unis en Ayiti, dans son rapport de 18h transmis à Washington quelque part entre la fin janvier et le début février 2010. Il voulait alors dire que «pendant qu’Haïti s’extirpe des décombres, différentes entreprises [des É.-U.] se positionnent pour vendre leurs concepts, produits et services», selon les fuites révélées cette semaine par l’hebdomadaire de la diaspora Haïti Liberté et obtenues des 1918 câbles diplomatiques remis par Wikileaks. « Le président Préval a rencontré le Général Wesley Clark, samedi [le 30 janvier], et a eu droit à une présentation de vente pour une maison à couche centrale en mousse résistante aux ouragans et aux séismes. »

Cet ancien candidat à la présidentielle américaine et ex-général des forces armées, le plus ou moins honorable Wesley Clark, dépendamment du côté de la frontière où l’on se trouve, agissait alors à titre de porte-parole pour InnoVida Holdings LLC, une entreprise de construction basée à Miami qui s’était engagée à «donner» 1000 maisons construites avec des panneaux en mousse pour les sans-abris ayisiens. Pour l’image, il était aussi accompagné de la star du basket Alonzo Mourning.

Une autre entreprise américaine de reprise après sinistre, «AshBritt a parlé à diverses institutions d’un plan national pour la reconstruction de tous les bâtiments du gouvernement», poursuit l’ambassadeur dans sa dépêche. «Et d’autres entreprises proposent leurs solutions de logements, d’aménagement de l’espace, ou d’autres concepts de construction. Chacune cherche à avoir l’oreille du président [Préval].»

Dans l’oreille de Préval, justement, le moustique insistant Lewis Lucke, coordonnateur de l’aide et des secours unifiés de Washington, chef d’orchestre des efforts d’aide américains en Ayiti. Avec plus de 27 ans d’expérience au sein de l’USAID — dont la supervision de plusieurs milliards de dollars de contrats pour la controversée Bechtel en Irak, où il était le directeur de la mission de l’USAID après l’invasion américaine —, Lucke aurait rencontré le président Préval et son Premier ministre Jean-Max Bellerive à au moins deux reprises dans les semaines consécutives au séisme du 12 janvier, d’après les informations coulées par Wikileaks.

Lewis Lucke, flairant la bonne affaire depuis sa position privilégiée, a démissionné de son poste de coordonnateur des secours pour Ayiti en avril 2010. « Il est devenu évident pour nous que si nous procédions comme il le faut, le séisme représentait autant une occasion qu’une calamité... Tellement de pots cassés, que nous avons là l’occasion de tout remettre en état, espérons-le, d’une meilleure manière et différemment,» avait-il alors déclaré à The Austin-American Statesman, un journal de sa ville natale. Mais avant de quitter ses fonctions, Lucke signe un contrat de 30 000$ avec AshBritt et son partenaire ayisien, CB Group — appartement apparemment à l’homme le plus riche d’Ayiti, Gilbert Biggio.

Fin 2010, Lucke intente une action en justice contre AshBritt et GB Group, réclamant près de 500 000$ et affirmant que ces compagnies « ne le payaient pas suffisamment pour ses services, dont celui d’intermédiaire pour mettre l'entrepreneur en contact avec des gens puissants et les aider à naviguer dans la bureaucratie gouvernementale », selon ses déclarations à l’agence Associated Press. Lucke avait aidé ces deux compagnies à obtenir des contrats de construction se chiffrant à plus de 20 millions de dollars…

Lucke travaille désormais pour le fournisseur de produits de maçonnerie MC Endeavors. Cette firme a récemment diffusé de nombreux communiqués de presse, encensant la déclaration du nouveau président ayisien Michel Martelly, qui a dit en anglais lors de son assermentation, le 14 mai dernier que «c’est une nouvelle Ayiti qui est désormais ouverte aux affaires».

Et Lucke ne se cache pas de faire fortune grâce au malheur des autres — une étude du Center for Economic and Policy Research révèle que seulement 2,5% des 200 millions de dollars distribués par l’USAID a été accordé à des entreprises ayisiennes. «C’est en quelque sorte la manière américaine», a-t-il confié à Haïti Liberté. « Vouloir faire des affaires ne signifie pas forcément que vous cherchez à être un rapace. Il n’y a rien d’insidieux... Ce n’était pas pire que l’Irak…».
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En Ayiti, le test de la réalité imposerait d'«Apprendre à vivre avec les failles», selon le titre de l'article de l'ingénieur, géologue, conseiller technique au Bureau des mines et de l'énergie, Claude Prépetit, publié dans Conjonction, la revue franco-haïtienne de l'Institut français d'Haïti (2011, no 223, Le séisme du 12 janvier en Haïti). «Pour tous ceux-là qui s'étaient penchés sur le sujet avant le 12 janvier, la catastrophe était inévitable lorsqu'on associait la composante de vulnérabilité mal gérée à celle de la menace peu quantifiée pour évaluer le degré de risque sismique en Haïti. C'était la chronique d'une tragédie annoncée à échéance inconnue.»

L'île d'Hispaniola est effectivement située à la jonction de deux plaques tectoniques — la plaque Caraïbe et la plaque Nord-Américaine. Le mouvement de ces plaques serait réparti sur plusieurs failles, dont deux systèmes majeurs connus avant le 12 janvier. Un au Nord, la faille septentrionale et un au Sud, la faille Enriquillo, reliant Pétionville et Tiburon — où le dernier séisme d'importance majeure a eu lieu en 1751. Or, c'est sur la faille de St-Marc, un système encore non répertorié, qu'aurait eu lieu le séisme du 12 janvier 2010... Ce qui laisse entrevoir, si l'on considère l'historique sismique de l'île, qu'un autre tremblement de terre important pourrait survenir.

L'anarchie avec laquelle s'opère la bidonvillisation de Port-au-Prince et des environs est certainement un facteur aggravant du bilan meurtrier du séisme du 12 janvier. Mais toujours selon Claude Prépetit, la menace sismique ne s'est pas pour autant dissipée et «d'autres segments de failles recèlent encore leur potentiel sismique, le Haïtiens devront désormais apprendre à vivre avec les failles».

Pour Laënnec Hurbon, directeur de recherche au CNRS lui aussi publié dans la revue Conjonction, «le caractère dévastateur du séisme du 12 janvier [...] demeure lié à l'incurie traditionnelle dont l'État  haïtien fait preuve depuis au moins un demi-siècle. On sait que par au moins trois fois des scientifiques ont signalé à l'État la possibilité d'un tremblement de terre démesuré: en 1984 (quand les spécialistes américains ont offert de placer une surveillance sismique à travers le pays et ont essuyé un refus catégorique de la part du gouvernement), puis en 1999 à travers le texte de Jocelyn David dans Les problèmes environnementaux de Port-au-Prince, et enfin en 2008 d'après le rapport de l'ingénieur Claude Prépetit.»

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Difficile de pointer un responsable du doigt lorsque la nature parle d'elle-même.  Reste le manque cruel de stratégie dans l'intérêt du bien commun au niveau politique en Ayiti qui profite malheureusement aux grands stratèges d'autres États peu soucieux du bien-être de la population. Et pourquoi ça changerait?

Cette semaine, le président Martelly et l'ancien président américain Bill Clinton posaient la première pierre des 400 «logements sociaux [en]durables» à construire en cent jours dans la localité de Zoranger, dans la commune de Croix-des-Bouquets. Ces logements de 35 mètres carrés — ça c'est 5x7m pour une famille! — doivent servir à loger quelques-uns des centaines de milliers de déplacés vivant actuellement dans les camps de déplacés...

mardi 14 juin 2011

Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup*

Ce sont deux histoires qui se confondent. D’abord celle du choix déchirant de partir — en ne songeant qu’à un retour. Et puis celle de partir. Pour de bon. Au pays du non-retour. Celui où l’on n’a jamais vu personne porter un chapeau, selon le proverbe magnifiquement romancé par Dany Laferrière — et qui fait pourtant en sorte que plusieurs en portent un.
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La matinée est ensoleillée. Le tout-Pétionville a revêtu ses plus beaux habits. Médecins, officiels, politiques. Tout ce beau monde défile et vient offrir ses dernières salutations au défunt et ses sympathies aux éplorés qu’il laisse derrière, après une digne bataille.

Il a eu beau être sévère, strict, catégorique, pointilleux, redouté. Il a tracé au scalpel, dans un passé rapproché, l’avenir et le présent de nombreux chirurgiens ayisiens. Ceux-là mêmes qui ont tant redouté ses interventions alors qu’ils n’étaient que simples résidents — si cela peut être considéré comme une tâche simple.

Il a très certainement marqué sa génération et les suivantes. Tout comme il a laissé une trace immense en ce qui a trait à sa profession dans son pays. Et ce même s’il aura passé une partie de sa vie «lòt bò» — à l’extérieur d’Ayiti, toutes destinations confondues.
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Ils sont nombreux comme lui. Ses enfants sont sortis pour accéder à une meilleure éducation. À une spécialisation. Ses petits-enfants aussi. Ils sont «lòt bò». Loin de la famille, du pays. Ils ont eu la chance d’y être ou y sont encore. Avec cette conscience de leur ailleurs qui bat de l’aile sans eux. Qui battrait de l’aile même avec eux. Et sans lequel ils n’arrivent pas à s’envoler tout de même. Ici comme ailleurs.

Parfois, comme lui, ils reviennent. Avec tout ce dont le pays a besoin — sans nécessairement être capable de les recevoir à bras ouverts. Ils doivent encore se battre, comme ils l’ont fait «lòt bò». Qu’ils réussissent ou qu’ils se brûlent les ailes en tentant de le faire, c’est tout à leur honneur. Comme ça a été tout à son honneur. Et à celui de ses enfants. Ils sont si singulièrement capables de changer les choses. Petit à petit à petit.
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Aux funérailles, des enfants passés l’âge de raison qui se répandent avec raison. De nombreuses connaissances de la famille. Une femme qui émet des gémissements sonores, sans savoir comment elle pourra assurer son avenir maintenant que son emploi est mort. Et ce petit gamin qui zyeute depuis le parvis de l’église : il se demande ce à quoi ressemble «lòt bò». S’il n’est pas possible de trouver un petit «kob» pour aller voir lui-même…

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*Alphonse Allais

jeudi 9 juin 2011

Déshabiller Jean-Baptiste pour habiller Kevin

Le groupe de défense de la transparence Wikileaks a récemment remis à l'hebdomadaire Haïti Liberté plus de 1 918 câbles diplomatiques sur les relations entre les États-Unis et Ayiti s'échelonnant entre le 17 avril 2003 et le 28 février 2010. Y passent donc les périodes du coup d'État contre Aristide en février 2004, du règne de Préval — habile danseur en termes de politique étrangère entre les intérêts des États-Unis et ceux du Venezuela —, ainsi que les premiers instants après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Et ce qui en ressort n'a rien de beau : on peut entre autres dresser un «portrait extraordinaire de la gestion agressive de Washington à l'égard de la première nation souveraine de l'Amérique latine — et de ses tactiques sans merci pour protéger les intérêts économiques américains en Ayiti», selon les propos du magazine The Nation, le partenaire anglophone de Haïti Liberté dans la diffusion des informations ayant trait au coulage d'information de Wikileaks.

Prenons un dossier, pour exemple — parce qu'il y en a plusieurs. Juin 2009. Le Parlement ayisien adopte à l'unanimité une mesure qui doit faire augmenter le salaire minimum — alors de 70 gourdes par jour (1,75$, ou 22 sous de l'heure) — des travailleurs ayisiens à 5$ par jour, soit 62 sous de l'heure. La mesure est évidemment accueillie favorablement par la population, alors qu'une étude publiée l'année précédente par le Worker Rights Consortium établissait qu'il fallait à une famille ouvrière moyenne composé d'un travailleur et de deux dépendants, pour assurer ses frais de subsistance minimaux, 550 gourdes (13,75$) par jour.

Les propriétaires des usines d'assemblage du secteur ayisien exécutant des contrats pour Hanes, Fruit of the Loom, Levi's — appelons-les la petite bourgeoisie du tissu —, encouragés par le Département d'État américain, se sont cependant fortement mobilisés pour bloquer cette mesure destinée à améliorer, voire à rendre minimalement tolérable, le sort des travailleurs les moins bien rémunérés du continent, ont révélé les câbles diffusés par Wikileaks. Ils étaient prêts à consentir à une augmentation de 9 sous de l'heure, mais pas plus!

«Un engagement plus visible et plus actif de la part de Préval peut s’avérer crucial pour régler la question du salaire minimum et les protestations qui en ‘découleront’ – au risque de voir l’environnement politique échapper à tout contrôle », mettait en garde l’ambassadrice des É.-U., Janet Sanderson, dans un câble envoyé à Washington le 10 juin 2009.

Encouragés par le Département d'État américain donc, la petite bourgeoisie du tissu aurait poussé la machine pour effectuer un plaidoyer auprès du président René Préval, ainsi qu'auprès de plus de 40 autres membres du Parlement et d'autres partis politiques, effectuant  la sale besogne des Américains qui gardaient ainsi les mains propres.. et la mainmise sur les profits rappatriés par leurs géants du vêtement rendus possibles grâce à un réseau de sweatshops à proximité de la maison...  

Deux mois plus tard, en août 2009, la stratégie portait ses fruits. Le président Préval négociait avec le Parlement pour finalement établir un salaire minimum à deux niveaux : 125 gourdes (3,13 $) par jour pour l'industrie du textile et 200 gourdes (5 $) par jour pour tous les autres secteurs industriels et commerciaux...

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Comment expliquer l'aplaventrisme de la petite bourgeoisie du tissu devant les bonzes du lobbyisme de coulisse américains dans ce dossier, alors que d'autres câbles diplomatiques révèlent que la mesure sur l'augmentation du salaire minimum avait, en plus de sa popularité au sein du peuple ayisien, des appuis d'une majorité du secteur privé évoluant dans d'autres industries? L'équation est assez simple.

En 2006, le Congrès américain a adopté le projet de loi HOPE (Haitian Hemispheric Opportunity Through Partnership Encouragement) accordant aux manufactures de la zone d’assemblage d’Ayiti des incitatifs commerciaux préférentiels. Suivi deux ans plus tard par le projet de loi HOPE II, qui approfondissait ces incitatifs — en même temps que la dépendance de l'industrie ayisienne —, notamment par l'assistance technique et les programmes de formation de l'USAID — qui elle paie ses employés en dollars américains...

Le chargé d'Affaires de Washington affirmait entre autres, dans un câble confidentiel du 17 juillet 2009, que «des études financées par l’Association haïtienne de l’Industrie (ADIH) et l’USAID, visant l’impact de la multiplication par un facteur de près de trois du salaire minimum dans le secteur du textile, démontrent qu’un salaire minimum de 22 gourdes haïtiennes rendrait le secteur non viable économiquement et, par conséquent, forcerait les usines à fermer».

Les Américains avaient donc non seulement le monopole du capital, mais aussi de l'information — pas nécessairement distribuée également selon un communiqué de presse de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif datant d'octobre 2009 : «Chaque fois que la question du salaire minimum a été abordée, [la bourgeoisie de la zone d’assemblage d’Haïti en] ADIH a tenté d’effrayer le gouvernement, disant que l’augmentation du salaire minimum signifierait la fermeture certaine et immédiate de l’industrie en Haïti et causerait une perte soudaine d’emplois. Dans un cas comme dans l’autre, c’était un mensonge.»

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Un article du Columbia Journalism Review, la publication critique des gradués en journalisme de l'Université Columbia a fait un calcul intéressant basé sur le nombre d'employés ayisiens de la compagnie Hanes et de ses profits de l'année 2010 : «As of last year Hanes had 3,200 Haitians making t-shirts for it. Paying each of them two bucks a day more would cost it about $1.6 million a year. Hanesbrands Incorporated made $211 million on $4.3 billion in sales last year, and presumably it would pass on at least some of its higher labor costs to consumers.»
Y'a des fois où les gens doivent avoir l'impression de se faire fourrer avant même d'avoir ôté leurs sous-vêtements... Cette fois-ci, cependant, ce sont encore les États-Unis qui se font prendre les culottes baissées. Mais pour ce que ça risque de changer dans la dynamique de couple...