mercredi 4 mai 2011

Ménager ses transports

Jacmel, 15h30, dimanche après-midi. La «roulib» (littéralement «roue libre», le lift) qui devait nous ramener à Port-au-Prince n'a finalement pas fait le déplacement jusqu'à la ville côtière du Sud-Est. Nous sommes un peu coincés. Le pouce? Hum, pas sûre que ce soit la meilleure idée. La moto-taxi? Sur la route en lacet, t'es malade?! L'hélico de la MINUSTAH? Non, ce à quoi les Ayisiens n'ont pas droit, je n'ai pas droit — un peu de solidarité, quand même! Je suivrai finalement mon collègue ayisien dans le transport en commun — appelez ça l'autobus —, non pas sans une petite crainte en ce qui concerne la portion montagneuse de la route. Expérience dont mes fesses — et plusieurs autres muscles — se souviennent douloureusement.

Quand je dis transport en commun, je veux dire transport en commun — en insistant sur le commun. Nous étions une trentaine à être entassés dans la boîte d'un camion où étaient disposés trois modestes planches de bois en guise de sièges. Au moins quatre personnes à l'avant. Et qui sait combien de monde — poules, fruits, légumes et autres provisions — sur le toit. Tous là à crisper nos muscles en même temps dans une chorégraphie destinée à absorber les tournants prononcés que nous ne voyions pourtant pas venir.

«Blan» (l'étranger) attire habituellement les regards. Ils ont bien souri en me voyant monter dans l'autobus chargé. Les «blan» voyagent habituellement en «machine» avec leur chauffeur, devaient-ils se dire. Sur la route, j'ai plutôt senti mes covoitureurs, le regard vague, perdus dans leurs pensées. Ou enfin dans leurs prières, impatients qu'ils étaient de mettre fin à ce risque nécessaire pour fuir la morosité économique de Jacmel. 

Lorsque le chauffeur arrêtait sur la route — on ne peut pas vraiment dire accotement — pour prendre de nouveaux passagers, on les entendait protester. Maugréer qu'il n'y avait plus de place. Que les centaines de gourdes qu'il allait empocher pour les prendre à son bord équivalaient à risquer leurs vies. La vie d'un Ayisien vaut cher, en tout cas, si on calcule chaque facteur de risque qui y sont associés.

Il ne passe pas une semaine sans que l'on entende parler d'accidents de la route plus ou moins graves. Un autobus qui sombre au creux d'une montagne. Une moto qui renverse un piéton. Une voiture sans freins qui frappe un mur. Un tap-tap trop chargé qui perd le contrôle en risquant la vie de dizaines de gens.

Sur la route sinueuse, j'ai essayé de ne pas penser à ça. Lorsque nous sommes arrivées à Dufort, en bas des montagnes, les «merci Jésus, merci Jésus» ont abondé. Les chapelets ont été embrassés. Les yeux se sont levés au ciel. À ne pas voir dehors, je m'étais aussi réfugiée dans les valeurs judéo-chrétiennes peinturées de couleurs criantes sur la boîte métallique du camion, dans une espèce de conversion momentanée à l'approche de la fin du [voire de mon] monde imminente : amour, paix, sagesse. Et union. Pour l'union, je venais en effet d'être servie.

***

Plusieurs personnes sont descendues à Dufort. Le chauffeur devait cependant poursuivre sa route jusqu'à la capitale. Mais arrivé à Léogâne, quelques kilomètres plus loin, le frustre monsieur a décidé qu'il rebroussait chemin — pour éviter de franchir les montagnes de nuit, j'imagine, mais c'est pas comme si il nous avait donné une raison (il avait déjà encaissé le «kob»)... 

C'est là que j'ai été... vendue! Le chauffeur du camion a effectivement acheté le droit de passage des passagers restants à un autre transporteur, qui faisait la route jusqu'à Port-au-Prince celui-là. Nous nous sommes donc retrouvés dans un autobus scolaire du type Blue Bird, à attendre. Attendre que nous ayons atteint le compte de trois par bancs — oui, oui, j'étais la chanceuse au centre! 

Vous vous demandiez [not!] ce qui arrivait aux autobus scolaires jugés inaptes à transporter les enfants du Nord? Pas besoin de vous dire que la petite pancarte «arrêt» ne clignote plus. Et il suffit de crier «chauffeur» pour descendre, par l'une ou l'autre de ce qui étaient jadis des portes fonctionnelles...

***

Arrivés à Portail-Léogâne, à l'orée de cette forêt humaine qu'est Port-au-Prince, le chauffeur nous a crié «chauffeur» comme une petite vengence. Alors que nous avions payé 100 gourdes (2,5 $) pour faire les 120 kilomètres de Jacmel à PAP (pour environ 4 heures..), le taxi, une petite voiture aux sièges défoncés, au plancher troué et aux amortisseurs inexistants nous en a chargé 400 (10 $). Les grandes villes sont toutes pareilles.. et les chauffeurs de taxi aussi!

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