dimanche 27 mars 2011

Sortir la fille du bois...

Frontière Ayiti/République dominicaine...
Ayiti signifie «pays de montagnes». Jadis, ces plis terrestres étaient recouverts de forêts denses et luxuriantes, où poussaient ébène, acajou et autres essences de bois nobles, au grand profit des colonisateurs français qui importaient également depuis Saint-Domingue autant de café, de canne à sucre et de rhum aux saveurs d'esclavagisme. Aujourd'hui, le couvert forestier ne représente plus qu'un maigre 2% — contre 80 % du territoire de l'île d'Hispaniola au XVe siècle —, ce qui n'est pas sans effets sur l'érosion des sols, sur la détérioration de terres arables et sur la qualité et la disponibilité de l'eau, entre autres...

Le désastre écologique de la déforestation de l'île défraie la chronique depuis longtemps déjà — le phénomène se serait accéléré depuis une trentaine d'années. Avec l'appauvrissement de paysans déjà pauvres, il s'en trouve même pour dire que les Ayisiens ont mangé leur forêt, forcés à défricher pour cultiver des plantes maraîchères et faire un peu de place au bétail.. au grand détriment de ce qui était autrefois un paradis de biodiversité. D'autant plus que la forêt est dans des proportions infinimum protégée par un État qui manque de ressources pour la surveillance, ce qui encourage les gens à se servir comme dans un buffet ouvert — Richard Desjardins, vous cherchiez une destination soleil?

«Au début, bien avant l'indépendance haïtienne en 1804, c'est l'exportation massive d'acajou flamboyant et autres bois précieux vers l'Europe qui a mis à mal nos forêts, dit Jean-Robert Julien, directeur général du Réseau d'enseignement professionnel et d'interventions écologiques. Depuis 30 ans cependant, ce sont la pauvreté des habitants et l'utilisation des forêts pour le bois de cuisson qui font le plus de mal», poursuit-il dans un article de UdeM Nouvelles, le portail d'information de l'Université de Montréal.

Dans un éditorial du Nouvelliste, Frantz Duval évoquait ce weekend les quatre cavaliers de l'apocalypse — la métaphore catholique marche fort ici! — pour expliquer la dilapidation de la ressource. Bwa pin, bwa bale, bwa di et chabon bwa, en raison de leur très grande utilisation dans la vie quotidienne, rendent donc difficile l'inversion de la situation sans un changement de mentalité à 180 degrés. 
Petit commerce de «chabon bwa».

Selon le rédacteur en chef du Nouvelliste, «bwa pin» (le bois de pin) est utilisé par 80 à 90% des familles ayisiennes comme accélérateur de feu pour allumer les foyers de charbon de bois. 

Le «bwa bale» (bois balai), comme son nom l'indique, sert quant à lui principalement à fabriquer des balais. Le hic, c'est que les arbres utilisés pour confectionner ces balais sont des jeunes plants — pour des raisons de tailles adaptées à toutes les mains —, ce qui cause évidemment préjudice pour le renouvellement de cette espèce. «Un bwa bale ne sert qu'une fois. Pas de recyclage ni de réutilisation. Chaque ménage a un, deux, des fois un plus grand nombre de balais pour nettoyer [...] Par mois, par an, ce sont des millions d'arbustes qui sont sacrifiés, transformés en balais.»

Vient ensuite le «bwa di» (le bois dur), qui sert pour sa part principalement au renforcement des structures de construction bétonnées et pour la constitution des échafaudages. Encore une fois, il est la plupart du temps utilisé une seule fois, les échafaudages étant toujours à refaire pour s'adapter au terrains protéiformes.. Dans le meilleur des cas, ces échafaudages finiront leur cycle de vie en bois de chauffe...

Le dernier et non le moindre de ces quatre cavaliers de l'Apocalypse est le «chabon bwa» (charbon), utilisé par la majorité pour la cuisson des aliments et d'autre part pour des usages préindustriels — «boulangerie, nettoyage à sec, transformation de canne à sucre, etc». «Bon an, mal an, 300 000 tonnes de charbon de bois, dont la production nécessite l'abattage annuel de 1,5 million de tonnes de bois debout, sont employées dans ce pays où, contrairement à son voisin hispanophone, la filière du gaz naturel n'existe pas», selon UdeM Nouvelles.

Frantz Duval conclue sa volée de bois vert — justifiée — par certaines pistes de solutions. Remplacer le «bwa pin» par des accélérateurs de feu chimiques. Remplacer par le plastique, le métal, voire le bois réutilisable le «bwa bale». Inonder le marché d'étais métalliques pour tuer la demander en «bwa di». Ou encore utiliser des produits de substitution pour remplacer le «chabon bwa».. Bref, il demande au peuple un effort monétaire surhumain dans des conditions plus qu'inhumaines.. Tant que la logique économique mènera le monde, on peut s'attendre au statu quo..

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Révolution ayisienne — 22 août 1791-1er janvier 1804
Il ne faut pas oublier non plus que la première république noire a cher payé son indépendance... Proclamée le 1er janvier 1804  par Jean-Jacques Dessalines aux Gonaïves, l'indépendance de la colonie de Saint-Domingue ne sera reconnue par la France que 21 ans plus tard, en 1825. Et moyennant des «dommages et intérêts» de 60 millions de francs-or pendant 30 ans (l'équivalent de 33,8 milliards de dollars américains d'aujourd'hui) — lesquels seront assurés par un prêt contracté auprès... des banques françaises (!) — ce qui plongea le pays, dès sa naissance, dans la spirale de l'endettement... Le déboisement se poursuivra donc pendant des décennies pour que dû soit payé aux autorités françaises. Ce qui fait en sorte qu'aujourd'hui, ils sont plusieurs à penser que la France est redevable envers Ayiti...

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