mardi 7 juin 2011

Bergère, j'vois pas où tu pourrais entrer tes moutons...

Thony Bélizaire, Agence France-Presse
Bon, ok, j'avoue, je vous ai un peu menti. Mais pas délibérément — je ne vous ferais jamais ça, voyons! Disons que j'ai simplement parlé un peu vite dans ce billet sur la pluie..

Ça fait maintenant plus d'une semaine qu'il pleut des cordes sur Port-au-Prince — ainsi que dans plusieurs des neufs autres départements. On s'en balance, vous entends-je dire d'emblée. J'ai aussi l'habitude de la nonchalance sinon du désintérêt envers ces conversations d'ascenseur météorologiques. Mais quand la pluie pose ou aggrave des problèmes de santé publique, là c'est une autre histoire.

Parce que la pluie fait ici des morts. Déjà plus d'une vingtaine dans la région métropolitaine, selon la Protection civile. L'orage de lundi soir a été particulièrement violent — une large zone de dépression s'est installée au-dessus de la Mer des Caraïbes. Flashs d'éclairs zébrant le ciel et coups de tonnerre quasi simultanés. Pas même le temps de compter mille et un, mille et deux...

Inondations, coulées de boue emportant les «fatras», ces amoncellements de déchets que les Travaux publics ignorent jusqu'à la dégradation des infrastructures d'acqueducs (!) et jusqu'à l'empuantissement du quotidien des Portauprinciens, affaissement de maisons et de routes jamais entretenues depuis la chute de Duvalier : le ciel leur est vraiment tombé sur la tête. Eux qui sont pourtant si croyants, ils ont eu droit à toute une crise de larmes de la part du Bondye — et les jérémiades doivent se poursuivre jusqu'à jeudi...

«Port-au-Prince est mêlée ce matin», m'a dit le chauffeur, empruntant au coeur de Delmas ce qui serait chez nous considéré comme un chemin de traverse pour contourner le blokis, cet embouteillage perpétuel et caractéristique de la capitale — exponentialisé pour l'occasion. Routes bloquées parce que considérées comme dangereuses, ou rendues impraticables par les arbres tombés ou les remblais ayant cédé sous la forces des crues, les citadins ne savent effectivement plus où donner de la tête. Par ici on tente de remplir les crevasses avec du gravier, par là on teste la profondeur de l'étang boueux avant de passer en voiture... 

Aux nouvelles, les témoignages abondent. «Nous n'avons pas dormi», dit cette dame qui s'est retrouvée à la rue avec sa petite de trois-quatre ans. «Nous avons perdu tous nos papiers importants, le peu que nous possédions», raconte cette autre. Dans les camps, la situation est d'autant plus désolante : «Nous ne savons quoi faire avec l'arrivée de la saison cyclonique. Si l'on pouvait nous donner de nouvelles bâches, nous serions satisfaits, car nous ne pouvons plus vivre de cette manière», raconte  au Nouvelliste Marienne, une résidante du camp Acra, dans Delmas 33, l'une des zones les plus affectées où sont stationnées 14 000 personnes.

Selon le Système National de Gestion des Risques et des Désastres (SNGRD), Cité-Soleil vit sur les toits — la zone serait «marécageuse». À Gressier, l'inondation des camps n'a pas épargné la maison du maire. Tabarre — où a élu domicile Aristide, mais aussi la nouvelle Ambassade américaine et où est situé le Parc historique de la canne à sucre — est en situation critique, zone inondée puisque située sous le niveau de la mer... Et ainsi de suite...

Les prévisions des météorologues pour la saison cyclonique 2011 tournent autour 17 monstres pour la zone Caraïbes. Le niveau d'alerte orange est encore en vigueur. Et la communauté internationale pense faire face aux éléments avec des billets verts. Selon le coordonnateur humanitaire des Nations unies en Ayiti, Nigel Fisher, un budget de 21 millions de dollars américains a été élaboré pour la saison cyclonique. Seuls 8 millions auraient déjà été collectés... Une chance que les codes de couleurs existent pour simplifier des enjeux fichtrement plus compliqués...

***

Depuis un peu plus d'une semaine, les têtes se retournent aussi sur le passage des tap-taps «pimpés». La structure arrière de certains de ces véhicules de transport «public» a effectivement été modifiée — la boîte de pick-up, à proprement parler. Y ont été installés des barrières verrouillées pour les distinguer des autres véhicules et un plancher de prélart «étanche» afin de contenir les déjections des malades. Avec une sirène qui ne manque pas d'attirer l'attention, on emporte ainsi vers les Centres de traitement du choléra (CTC) les personnes qui présentent les symptômes de la maladie épidémique — qui connait actuellement un regain [qui n'était pas sans être prévisible] étant donnée la saison pluvieuse...

Un article récent de La Presse canadienne rapporte que les équipes de Médecins sans frontières (MSF) ont traité plus de 2000 personnes la semaine dernière dans la capitale seulement — en date du 3 juin. Plus de 200 personnes se seraient en plus heurtées à des portes closes, les CTC n'arrivant pas à satisfaire la demande — un de ces centres a été emporté par les pluies diluviennes de lundi... Et Bev Oda, ministre canadienne de la Coopération internationale, attend de recevoir de «l'information» pour apporter son grain de sel : «Je crois qu'ils sont préparés pour la saison des pluies. Et évidemment nous surveillons toujours la situation et nous répondrons quand nous aurons reçu des informations»...

«Choléra! Choléra!», crient les enfants sur la route. Étant désormais habituée au traditionnel «Blan! Blan!» qu'ils me scandent d'ordinaire, je me demande si je ne suis pas en train de devenir daltonienne  — même si c'est très rare pour une fille — dans ce monde en noir, blanc et gris où l'on s'invente des codes de couleurs parce que la nuance n'existe pas. Et ce, même si l'on persiste à voir la vie en rose-Martelly...

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