mercredi 22 juin 2011

Des surpris et des hommes [politiques]

Le candidat au poste de Premier ministre désigné par le président Martelly, Daniel Gérard Rouzier, aura été la première victime du parti INITE — et par la bande, du Groupe des parlementaires pour le renouveau (GPR) —, majoritaire à la Chambre des députés et au Sénat. Et aussi le premier sacrifice humain à l'autel de la politique ayisienne depuis l'élection de celui qui a popularisé le rose.

Des 64 députés présents au vote, 42 ont voté en défaveur d'un PM Rouzier, 19 se sont prononcés pour  sa candidature et trois se sont abstenus. Évoquant tantôt des raisons d'ordre fiscal, tantôt la position de M. Rouzier à titre de consul honoraire de la Jamaïque, ou encore la conformité des documents d'identification soumis aux députés — ses passeports, notamment — la chambre basse réclame un autre candidat. Ils sont cependant plus d'un à croire que ce choix tranché est davantage motivé par des raisons politiques.

«Le résultat du vote prouve que les violons ne s'accordent pas entre le président Michel Martelly et la plateforme INITE, majoritaire dans les deux Assemblées. [...] Si Martelly a bien appris la leçon du vote de mardi, il va rapidement entreprendre les démarches nécessaires auprès du directoire de la plateforme INITE avant de choisir un nouveau Premier ministre», écrit Lemoine Bonneau dans l'éditorial du Nouvelliste au lendemain du vote, rappelant qu'avec une cinquantaine de députés tissés serrés au sein du GPR et 16 sénateurs à la Chambre haute, «la plateforme INITE est incontournable en ce qui a trait à la ratification du choix d'un Premier ministre ainsi qu'à l'approbation de la déclaration de [la] politique générale [de Martelly].»

Premier grand choc de la cohabitation, donc, venu piquer au vif cet hydre à têtes regénérescentes qu'est l'establishment gouvernemental ayisien — en particulier l'INITE par les temps qui courent à rebours — au grand dam d'un Michel Martelly passé au rouge pour l'occasion. «On ne perdra pas de temps. On cherche des solutions. Et mon équipe et moi ne laisserons pas le palais aujourd'hui sans trouver des solutions», a dit Martelly au Nouvelliste, ajoutant, entêté «qu'il ne perdra pas la bataille».
Coincé entre les attentes [élevées] d'un peuple qui vit dans des conditions misérables et qui l'a porté au pouvoir — avec deux gros coups de pouces des États-Unis et de la communauté internationale, il faut le souligner — et celles d'un parti INITE et de toute une classe politique bien plus soucieuse de ses propres intérêts que de ceux du peuple, Martelly, au pouvoir depuis presque 40 jours, devra éventuellement mettre le compromis à son agenda s'il veut pouvoir opérationnaliser son plan des 4E — emploi, éducation, environnement, état de droit...

Le principal intéressé dans ce dossier, Daniel Gérard Rouzier, demeure quant à lui philosophe, selon ses propos rapportés par le Nouvelliste. «J'apprends. C'est un cheminement,» a-t-il déclaré aux journalistes, émettant lui aussi des doutes quant à la nature «technique» de son rejet. «Il se pourrait que je ne corresponde pas au profil de Premier ministre que les députés voudraient voir travailler aux cotés du président», a-t-il nuancé, alimentant le flou sur son éventuelle implication au sein du gouvernement. Plusieurs voient d'ailleurs celui qui est «prêt à se sacrifier pour servir son pays», selon les propos du président Martelly, occuper un poste ministériel important...

Bras de fer politique [qui peut durer longtemps] à renouveler, donc. Pendant ce temps, le président Martelly, dans un message diffusé dans la soirée de mercredi, remercie la population «de ne pas être descendue dans les rues», brandissant la carte de la légitimité «démocratique» au visage des parlementaires et réitérant qu'il est temps que le changement promis prenne place, que la classe politique travaille dans l'intérêt de la population...

***

«Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
— Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc. Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.
— Non, j'vous en prie, supplia-t-il. Oh, j'vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait.
Elle se débattait vigoureusement sous ses mains...
— Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il. George va dire que j'ai encore fait quelque chose de mal. Il m'laissera pas soigner les lapins.» — John Steinbeck, Des souris et des hommes

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