mardi 14 juin 2011

Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup*

Ce sont deux histoires qui se confondent. D’abord celle du choix déchirant de partir — en ne songeant qu’à un retour. Et puis celle de partir. Pour de bon. Au pays du non-retour. Celui où l’on n’a jamais vu personne porter un chapeau, selon le proverbe magnifiquement romancé par Dany Laferrière — et qui fait pourtant en sorte que plusieurs en portent un.
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La matinée est ensoleillée. Le tout-Pétionville a revêtu ses plus beaux habits. Médecins, officiels, politiques. Tout ce beau monde défile et vient offrir ses dernières salutations au défunt et ses sympathies aux éplorés qu’il laisse derrière, après une digne bataille.

Il a eu beau être sévère, strict, catégorique, pointilleux, redouté. Il a tracé au scalpel, dans un passé rapproché, l’avenir et le présent de nombreux chirurgiens ayisiens. Ceux-là mêmes qui ont tant redouté ses interventions alors qu’ils n’étaient que simples résidents — si cela peut être considéré comme une tâche simple.

Il a très certainement marqué sa génération et les suivantes. Tout comme il a laissé une trace immense en ce qui a trait à sa profession dans son pays. Et ce même s’il aura passé une partie de sa vie «lòt bò» — à l’extérieur d’Ayiti, toutes destinations confondues.
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Ils sont nombreux comme lui. Ses enfants sont sortis pour accéder à une meilleure éducation. À une spécialisation. Ses petits-enfants aussi. Ils sont «lòt bò». Loin de la famille, du pays. Ils ont eu la chance d’y être ou y sont encore. Avec cette conscience de leur ailleurs qui bat de l’aile sans eux. Qui battrait de l’aile même avec eux. Et sans lequel ils n’arrivent pas à s’envoler tout de même. Ici comme ailleurs.

Parfois, comme lui, ils reviennent. Avec tout ce dont le pays a besoin — sans nécessairement être capable de les recevoir à bras ouverts. Ils doivent encore se battre, comme ils l’ont fait «lòt bò». Qu’ils réussissent ou qu’ils se brûlent les ailes en tentant de le faire, c’est tout à leur honneur. Comme ça a été tout à son honneur. Et à celui de ses enfants. Ils sont si singulièrement capables de changer les choses. Petit à petit à petit.
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Aux funérailles, des enfants passés l’âge de raison qui se répandent avec raison. De nombreuses connaissances de la famille. Une femme qui émet des gémissements sonores, sans savoir comment elle pourra assurer son avenir maintenant que son emploi est mort. Et ce petit gamin qui zyeute depuis le parvis de l’église : il se demande ce à quoi ressemble «lòt bò». S’il n’est pas possible de trouver un petit «kob» pour aller voir lui-même…

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*Alphonse Allais

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