JC Duvalier et sa femme, Véronique Roy, devant le Palais de justice dePort-au-Prince, le 20 janvier dernier. (Photo: Thony Bélizaire/AFP) |
«Moi je l’aime Duvalier. Quand il était là, au moins, le pays avançait. Depuis qu’il est parti, il n’a cessé de dégringoler. J’étais content qu’il revienne au pays.» — Quelqu’un qui avait six ans quand Baby Doc a été renversé et qu’il est parti en exil avec des millions de dollars volés aux contribuables haïtiens…
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Ils étaient deux à officiellement travailler sur le dossier Duvalier pour le compte du gouvernement haïtien — un juge d’instruction et un procurer étaient en charge de l’affaire au moment de publier Haïti, un rendez-vous avec l’Histoire : les poursuites contre Jean-Claude Duvalier, rapport soumis par l’organisation Human Rights Watch (HRW), fin avril 2011. L’un d’eux, le juge d’instruction Carvès Jean, fait actuellement les manchettes internationales.. pour les mauvaises raisons.
Ce dernier vient de publier une ordronnance devant renvoyer l’ex-dictateur devant un tribunal correctionnel afin qu’il soit jugé pour des accusations de vol et de détournement de fonds publics, au grand dam des militants nationaux et internationaux pour le respect des droits humains qui réclament que ce dernier soit traduit selon les règles du droit international pour «crimes contre l’humanité».
«Impunité et anarchie : il n’y a pas d’autres noms qu’on peut donner à cela», critique la Plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (POHDH), estimant que la dite ordonnance équivaut à blanchir Jean-Claude Duvalier, l’un des plus grands criminels qu’Haïti ait connus, selon les propos recueillis par l’agence en ligne AlterPresse.
C’est «une gifle donnée à la justice haïtienne et aux victimes», poursuit la POHDH, outrée que ces chefs retenus contre Duvalier ne soient qu’accessoires en regard des accusations portées contre lui lors de son retour sous le soleil, après 25 années d’exil en France, le 17 janvier 2011. Des accusations pour violations des droits humains ont depuis été déposées par plus d'une vingtaine de personnes.
La journaliste Michèle Montas, déportée avec son célèbre mari Jean Dominique en 1980, — lui-même assassiné en 2000 dans des circonstances encore nébuleuses dans la cour de la radio où il travaillait — sous le règne duvaliériste pour ses opinions et son activisme politiques, fait partie du lot des plaignants. «À la fin des années 1980, il y a eu des rafles généralisées chez les militants des droits de l’Homme et les journalistes. Des personnes ont été torturées, ils ont pris tout ce qui bougeait. Et Radio Haïti-Inter a été détruite», rappelait-elle récemment à France 24.
Plusieurs activistes internationaux font également pression pour que soit jugé Duvalier selon les règles du droit international. Les violations des droits de l’homme, malgré ce que prétendent les six ou sept (!) avocats de Duvalier, ont effectivement été condensés dans plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales de la sphère juridique, dont le rapport de Human Rights Watch cité plus haut et On ne peut pas tuer la vérité : Le dossier Jean-Claude Duvalier d’Amnistie internationale, publié en septembre 2011 au lendemain de la journée internationale de la paix.
Arrestations arbitraires, détentions prolongées en secret sans inculpation ni jugement, tortures, disparitions forcées, expulsions et exécutions extrajudiciaires (je vous épargne les détails des témoignages recueillis) : la liste est longue et le principal intéressé ne peut pratiquement pas ne pas avoir été au courant de ces crimes en regard du droit international — assimilés comme tel depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Si les avocats de Duvalier crient haut et fort — peut-être dans le but de prendre au jeu quelques non-initiés qui avaient encore la couche aux fesses lors de la chute du [lui-même] Baby Doc ou encore ces nationalistes crasses qui ne jurent que par la défense des intérêts nationaux forcément diamétralement opposés à ceux de la communauté internationale — que la prescription ne s’appliquent plus dans le Code pénal haïtien, Amnistie, elle, plaide que «ces crimes sont si graves qu’ils concernent non seulement les victimes, les survivants ou l’État [haïtien], mais aussi l’humanité tout entière». Ils seraient, toujours selon Amnistie, de «compétence universelle, ce qui signifie que tout État peut ouvrir une enquête et engager des poursuites contre des individus soupçonnés de crimes contre l’humanité».
Au sujet de la prescription — concept juridique selon lequel un crime ne peut être jugé après un délai fixé par les règles de droits internes, 10 ans dans le cas du Code pénal haïtien —, les deux organisations citées plus haut, de même que de nombreuses associations haïtiennes s’entendent pour dire que les normes impératives du droit international (le jus cogens, à pompément parler ; merci à Me Vallières pour ses leçons de latin en particulier et pour ses leçons de droit international accessoirement) ont préséance sur toute autre obstacle juridique interne au sujet des crimes contre l’humanité. De plus, le caractère continu — à quel moment une «disparition» peut-elle cesser d'être considérée comme un crime? — et systémique des crimes rendrait imprescriptibles les actes dont il est ici question.
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Pour des raisons multiples, il apparaît cependant évident que le système judiciaire haïtien ne pourra prendre seul la responsabilité de mener un tel dossier jusqu’au bout — en termes de ressources humaines ayant l’expertise nécessaire, en termes de sécurité pour ces personnes, en termes d’accès aux ressources nécessaires, en termes de volonté politique, etc.
Et sur ce dernier point, même s’il a fait de l’État de droit l’une de ses priorités, le président Martelly continue d’envoyer des messages contradictoires sur les scènes politiques intérieures et extérieures en ce qui a trait à l’impunité en général et à Duvalier en particulier (il a notamment invité Baby Doc à une cérémonie officielle, le 12 janvier dernier, à Ti Tanyen, en «banlieue» nord de Port-au-Prince, là où sont enterrés des milliers de victimes du séisme et là où resposeraient ironiquement des centaines de «disparus» de l’époque Duvalier). En outre, le président Martelly se défendait la semaine dernière en Irlande d’avoir été «mal interprété» par l’Associated Press sur ses intentions de pardon à l’endroit de Duvalier… [Peut-être ses conseillers politiques lui ont-ils souligné qu'il s'inscrirait ainsi en faux avec les prescrits de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme, et donc de l'Organisation des États américains dont son pays assume cette année la présidence?!]
«S’il existe des éléments de preuves recevables suffisants et si le parquet réussit à traduire Jean-Claude Duvalier en justice, une étape considérable sera accomplie dans la lutte contre l’impunité au niveau mondial. À cet égard, la communauté internationale partage la responsabilité de veiller à ce que justice soit rendue», estime Amnistie internationale.
Pourquoi ne pas commencer par la France, berceau des Droits de l’homme s’il en est, et pays engagé dans une si longue lutte à finir avec Haïti, en plus d’avoir «hébergé» l’ex pendant ses 25 années d’exil..?