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jeudi 13 octobre 2011

Le malaise des belles-mères

Martelly et «Titid», après une rencontre de 4h à la résidence de l'«ex»
Le président Martelly effectue ces derniers jours, tout sourire et «tèt kale», une tournée des anciens dirigeants du pays à l'occasion, dit-il, de la «semaine de la réconciliation nationale». Parmi les huit «ex» encore vivants et résidant au pays, deux noms retiennent incongrument l'attention : Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier et Jean-Bertrand Aristide, tous deux rentrés d'exil cette année.

Le premier est revenu en Ayiti un an et quelques jours après le séisme du 12 janvier 2010, profitant de la horde de journalistes internationaux venus dans l'île pour briser 25 ans d'exil forcé en France. Des poursuites judiciaires pour détournement de fonds et violation des droits de la personne ont été déposées contre lui peu après son retour. Ces poursuites, qui le contraignent théoriquement à résidence, n'entachent toutefois [et étrangement] pas trop sa popularité. Des manifestants — qu'on peut facilement imaginer avoir été encouragés par d'autres incitatifs — et les avocats qui le représentent, sont récemment venus perturber la conférence de presse organisée pour la diffusion du rapport «On ne peut pas tuer la vérité», d'Amnesty International.

«Titid», quant à lui, est rentré d'un séjour forcé de sept ans en Afrique du Sud, deux jours avant le deuxième tour des élections du 20 mars dernier. Il avait été renversé par un coup d'État [auquel aurait été affilié Michel Martelly, alors roi du carnaval] une première fois en 1991, puis une deuxième et [alors] définitive fois en 2004, à la faveur d'une rébellion d'anciens membres de l'armée. Discret depuis son retour au pays, il vient toutefois d'inaugurer la réouverture de l'Université de la Fondation Aristide, fermée lors de son départ forcé en 2004, avec l'admission d'une cohorte de 126 étudiants en faculté de médecine — non encore reconnue par l'État haïtien. Plusieurs analystes estiment que l'ancien leader, et «secrétaire général à vie» du parti Lavalas, attend le dégonflement du phénomène Martelly avant d'effectuer un retour à l'avant-scène politique — peut-être à l'occasion des élections sénatoriales de novembre...

«Je souhaite que les leaders anciens et actuels puissent s’unir en vue de travailler au progrès d’Haïti», a martelé Martelly à Radio Kiskeya, lors d'une visite à la résidence de Prosper Avril (président dans l'intervalle 1988-1990), dont il a salué le passage à la tête de l’État et les longues années passées au service de l’armée. Le chef d'État doit également rencontrer les «ex» René Préval (1996-2001 et 2006-2011), [le mari de la rivale de Martelly aux dernières élections, Mirlande Manigat] Leslie Manigat (fév-juin 1988) et Boniface Alexandre (chef du gouvernement intérimaire de 2004-2006).

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Martelly et Duvalier. À gauche, Nico Duvalier, le fils
de «Baby Doc» et consultant du président. Photo: AP
Admettons que l'exercice de mémoire soit compliqué dans un pays où l'espérance de vie est de 59 ans et où presque 36% de la population a moins de 15 ans. Admettons qu'une population vivant avec moins de deux dollars par jour dans une proportion de 78% et avec moins d'un dollar par jour à 54% ait d'autres chats à fouetter que de se questionner sur la rationalité de tisser des liens avec des «ex» ayant des bilans plus que mitigés en termes de développement.

Reste tout de même le message confus et contradictoire qu'envoie cette opération de relations publiques : comment un président qui a jusqu'à maintenant fondé sa stratégie — comme bon nombre de politiciens — sur l'avenir et sur le changement peut-il invoquer les fantômes d'un passé trouble et douloureux pour faire avancer le pays? Tout ça alors que le premier ministre désigné se débat comme un diable dans l'eau bénite avec les élus actuels pour pouvoir former son saint gouvernement?

Il faudrait peut-être quelqu'un pour rappeler au numéro un de l'État ayisien — ou de ce qu'il en reste — que sa «semaine de la réconciliation nationale» a commencé ce lundi par la Journée internationale de la santé mentale...

mercredi 22 juin 2011

Des surpris et des hommes [politiques]

Le candidat au poste de Premier ministre désigné par le président Martelly, Daniel Gérard Rouzier, aura été la première victime du parti INITE — et par la bande, du Groupe des parlementaires pour le renouveau (GPR) —, majoritaire à la Chambre des députés et au Sénat. Et aussi le premier sacrifice humain à l'autel de la politique ayisienne depuis l'élection de celui qui a popularisé le rose.

Des 64 députés présents au vote, 42 ont voté en défaveur d'un PM Rouzier, 19 se sont prononcés pour  sa candidature et trois se sont abstenus. Évoquant tantôt des raisons d'ordre fiscal, tantôt la position de M. Rouzier à titre de consul honoraire de la Jamaïque, ou encore la conformité des documents d'identification soumis aux députés — ses passeports, notamment — la chambre basse réclame un autre candidat. Ils sont cependant plus d'un à croire que ce choix tranché est davantage motivé par des raisons politiques.

«Le résultat du vote prouve que les violons ne s'accordent pas entre le président Michel Martelly et la plateforme INITE, majoritaire dans les deux Assemblées. [...] Si Martelly a bien appris la leçon du vote de mardi, il va rapidement entreprendre les démarches nécessaires auprès du directoire de la plateforme INITE avant de choisir un nouveau Premier ministre», écrit Lemoine Bonneau dans l'éditorial du Nouvelliste au lendemain du vote, rappelant qu'avec une cinquantaine de députés tissés serrés au sein du GPR et 16 sénateurs à la Chambre haute, «la plateforme INITE est incontournable en ce qui a trait à la ratification du choix d'un Premier ministre ainsi qu'à l'approbation de la déclaration de [la] politique générale [de Martelly].»

Premier grand choc de la cohabitation, donc, venu piquer au vif cet hydre à têtes regénérescentes qu'est l'establishment gouvernemental ayisien — en particulier l'INITE par les temps qui courent à rebours — au grand dam d'un Michel Martelly passé au rouge pour l'occasion. «On ne perdra pas de temps. On cherche des solutions. Et mon équipe et moi ne laisserons pas le palais aujourd'hui sans trouver des solutions», a dit Martelly au Nouvelliste, ajoutant, entêté «qu'il ne perdra pas la bataille».
Coincé entre les attentes [élevées] d'un peuple qui vit dans des conditions misérables et qui l'a porté au pouvoir — avec deux gros coups de pouces des États-Unis et de la communauté internationale, il faut le souligner — et celles d'un parti INITE et de toute une classe politique bien plus soucieuse de ses propres intérêts que de ceux du peuple, Martelly, au pouvoir depuis presque 40 jours, devra éventuellement mettre le compromis à son agenda s'il veut pouvoir opérationnaliser son plan des 4E — emploi, éducation, environnement, état de droit...

Le principal intéressé dans ce dossier, Daniel Gérard Rouzier, demeure quant à lui philosophe, selon ses propos rapportés par le Nouvelliste. «J'apprends. C'est un cheminement,» a-t-il déclaré aux journalistes, émettant lui aussi des doutes quant à la nature «technique» de son rejet. «Il se pourrait que je ne corresponde pas au profil de Premier ministre que les députés voudraient voir travailler aux cotés du président», a-t-il nuancé, alimentant le flou sur son éventuelle implication au sein du gouvernement. Plusieurs voient d'ailleurs celui qui est «prêt à se sacrifier pour servir son pays», selon les propos du président Martelly, occuper un poste ministériel important...

Bras de fer politique [qui peut durer longtemps] à renouveler, donc. Pendant ce temps, le président Martelly, dans un message diffusé dans la soirée de mercredi, remercie la population «de ne pas être descendue dans les rues», brandissant la carte de la légitimité «démocratique» au visage des parlementaires et réitérant qu'il est temps que le changement promis prenne place, que la classe politique travaille dans l'intérêt de la population...

***

«Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
— Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc. Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.
— Non, j'vous en prie, supplia-t-il. Oh, j'vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait.
Elle se débattait vigoureusement sous ses mains...
— Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il. George va dire que j'ai encore fait quelque chose de mal. Il m'laissera pas soigner les lapins.» — John Steinbeck, Des souris et des hommes