jeudi 5 mai 2011

The Christ isn't always right

L'avion de Miami à Port-au-Prince ressemble à un arc-en-ciel. Des groupes compacts et colorés de jeunes et de vieux venus changer le monde avec les meilleures intentions. Mais aussi avec une foi aveugle qui se rapproche de la naïveté. Et la foi porte des t-shirts cheap.

Ils sont tous là, un peu fébriles à l'idée d'être envoyés par Jesus-Christ-Alleluia lui-même pour aider leur prochain. Ils portent des chandails bleus, oranges, verts, roses, à l'effigie de leur confession. Des chandails qui les identifient clairement — et dans la lignée du mauvais goût vestimentaire! — au troupeau de brebis égarées auquel ils appartiennent. Ils viennent construire une école, un puits, apporter des médicaments ou d'autres vêtements de seconde main amassés par leur église pour ceux qui sont dans le besoin.

Et ils repartent une semaine plus tard avec le sentiment d'avoir changé le monde. Sans vraiment savoir si ces écoles disposeront des ressources nécessaires à leur bon fonctionnement — des chaises, des bureaux, des crayons, du papier, des livres, une autre source de lumière que Jésus... Sans vraiment savoir non plus si un professeur compétent pourra dispenser des enseignements — autres que religieux — à des enfants dont les parents n'ont souvent pas les moyens de payer les frais de scolarité. Et le professeur, c'est votre église qui lui versera un salaire?

Et semblerait que les Américains ne soient plus seuls à jouer la carte de la religion...

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En Ayiti, le séisme de janvier 2010 a donné lieu à un tsunami d'aide humanitaire. Dans la cohue, le nombre a devancé l'organisation cohérente de cette aide, ouvrant la porte à l'improvisation et à de nombreuses organisations sans expérience, plus ou moins bien intentionnées. Le Monde estimait par ailleurs leur nombre à plus d'un millier un an après le séisme. Et la faiblesse de l'État, qui doit théoriquement réguler cette aide mais qui dans les faits dit oui à tout, n'est pas sans contribuer à cette anarchie humanitaire.

«Si l'initiative est toujours louable, Haïti n'a pas besoin de trop d'aide, trop c'est comme pas assez et trop est synonyme de désorganisation, de manque de coordination. On se retrouve aujourd'hui avec une espèce de tour de Babel..», faisait récemment remarquer François Audet, Directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, en entrevue à l'émission Tam Tam sur les ondes de Radio-Canada International.

En vertu de la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide humanitaire, les pays signataires se sont engagés à délier l'aide et à en réduire la conditionnalité, aide qui subit par ailleurs déjà plusieurs pressions politiques, notamment. Comme pour en rajouter, certaines organisations à vocation religieuse font cependant montre d'un prosélytisme mal placé, soulevant le questionnement éthique en regard de leur volonté réelle. «Ce n'est pas propre à Haïti. Et dans une perspective historique, il ne faut pas oublier qu'à une certaine époque, la coopération canadienne était orientée vers le missionnariat», poursuit François Audet, ajoutant que certaines organisations profitent de la vulnérabilité au niveau psychologique pour «faire du recrutement de membres, aller construire des églises». «On peut s'interroger sur la légitimité et le bien-fondé de cette présence-là. Dans le marketing de ces organisations, on procède toujours par une démarche très humanitaire : on va ramasser de l'argent, pour construire des puits, des écoles, mais derrière, il y a une logique religieuse, confessionnelle, importante.»

Le journal Rue Frontenac citait à ce propos M. Audet, auteur d'une étude sur le nouvelles tendances de l'humanitaire canadien parue en avril dans la revue Point de mire et stipulant que le «gouvernement Harper confi[e] un rôle grandissant aux groupes religieux dans l’aide humanitaire d’urgence financée par le Canada». Le nombre d'organisations chrétiennes faisant de l'humanitaire au nom du Canada aurait effectivement triplé depuis l'arrivée au pouvoir des Conservateurs en 2006. Des 28 agences canadiennes enregistrées au PAGER (Policy and Advocacy Group for Emergency Relief), comité ad hoc où siègent l'ACDI et un comité du ministère des Affaires étrangères pour des fins de coordination de l'aide canadienne, 15 font la promotion d'une religion, y apprend-on.

Si des organisations expériementées comme Médecins sans frontières, Oxfam, CARE ou la Croix-Rouge sont abonnées depuis longtemps, une dizaine d'organisations moins expérimentées ont rejoint les rangs du PAGER ces dernières années — dont le Comité central mennonite, le Confederation of Canadian Christian Schools, l’Agence de développement et de secours adventiste et l’Église presbytérienne du Canada.

«Avec cette dilution des professionnels canadiens de l’humanitaire, le PAGER semble avoir perdu sa raison d’être. D’un espace de dialogue entre experts pour débattre d’enjeux politiques et opérationnels, celui-ci est maintenant une « liste » des organisations pouvant bénéficier des fonds de l’ACDI.»

«Depuis quatre ou cinq ans, on a vu apparaître des amateurs dans l’aide humanitaire, des gens qui n’ont aucune expérience. C’est un retour en arrière. Le gouvernement canadien revient presque aux anciennes croisades», confiait François Audet à Rue Frontenac, soulignant toutefois, sans les nommer, le sérieux de certaines de ces agences confessionnelles, qui proviennent entre autres des Églises luthérienne, baptiste, adventiste, unie, réformée, mennonite et catholique. (La liste des organisations humanitaires privilégiées par le Canada est ici.)

«Les vrais professionnels de l’humanitaire se démobilisent», se navre François Audet dans Rue Frontenac, qui a plus d'une quinzaine d'années d'expérience derrière la cravate — en porte-t-il vraiment une?! — dans l'aide humanitaire. Il a notamment oeuvré pour la Croix-Rouge et pour CARE, avec qui il a effectué une centaine de missions à l'étranger. Ceux qui restent lancent un cri d'alarme. En espérant que leurs prières soient entendues...

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Le rest of Canada vient de réélire Stephen Harper, porte-étendard de cette idéologie conservatrice qui compte notamment des députés créationnistes au sein de son équipe, comme le rapportait récemment Le Devoir, et qui ne cesse de faire pencher la politique étrangère canadienne vers la droite — religieuse et économique. La province de Québec a quant à elle remisé son gaminet bleu-bloc dans sa garde-robe pour revêtir son t-shirt orange dans une tentative désespérée et historique de faire contrepoids à ces fous de Dieu — entre autres, les enjeux politiques divisant le Québec du ROC étant protéiformes. Jouissant de la majorité, le gouvernement conservateur a cependant quatre à cinq ans pour continuer à envoyer des crucifix sauver des vies à l'étranger...

Amen.

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