Affiche du film «MINUSTAH volè kabrit», Tankou rat pictures |
La Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) n'en finit plus de se mettre les pieds dans la bouche (un anglicisme que vous me pardonnerez, c'est pas comme s'ils parlaient tous créole..) — pieds salis dernièrement par une histoire d'abus de pouvoir (pour ne pas dire de viol) de quatre soldats uruguayens à l'endroit du jeune Johny Jean, 18 ans, dans la commune de Port-Salut dans le département du Sud.
La «rumeur» a rapidement fait le tour du pays — et du monde — grâce au Dieu Youtube qui voit tout, sait tout et entend tout, même les gémissements les plus sordides d'un jeune garçon à qui on vole tout ce qu'il a d’avenir devant lui — tsé, la dignité? Les médias nationaux et internationaux ont rapidement relayé la nouvelle, ajoutant l'insulte à l'injure pour la famille du désormais plus mineur et identifié, non plaignant mais à plaindre, Jean.
Le scandale fait suite à une série d’histoires et de rumeurs peu reluisantes pour l'image et la réputation de la force de maintien de la paix de l'ONU. L'introduction dans l’île du choléra en octobre 2010, notamment, que de nombreux observateurs attribuent à grands coups de conditionnel au contingent népalais de la MINUSTAH basé à Mirebalais. Les représentants de la MINUSTAH refusent toutefois d’assumer la responsabilité, voire de s’excuser — que faire de plus maintenant que le mal est fait et que son spectre revient chaque fois qu’il pleut? —, arguant que la souche du bacille vibrio cholerae, très, très, très semblable à celle que l’on retrouve en Asie, est le fait d’une «convergence de circonstances» épidémiologiques, environnementales et sanitaires — selon les conclusions de nombreux experts — et que les plus de 5500 décès et 400 000 personnes touchées ne peuvent être attribués aux casques bleus, faute de «preuve scientifique» irréfutable…
À ces deux scandales d’envergure majeure s’ajoutent les impressions et rumeurs de la population sur les actes de la MINUSTAH. «Volè kabrit», disent tout bas plusieurs Ayisiens au passage des convois de la force de stabilisation, en référence à des histoires de vol de chèvre — un investissement dans un pays où plus de 78% de la population vit avec moins de deux dollars par jour — destinées au barbecue des soldats qui ont aussi la réputation d’envahir les plages et de se donner corps et âme à la fête au premier jour de congé venu. D’où la réputation de «MINUSTAH tourista» : l’Ayisien moyen ne voit malheureusement pas l’impact direct de l’intervention onusienne sur sa vie de tous les jours et tend plutôt à percevoir cette dernière comme une occupation, comme une perte de souveraineté nationale.
Des manifestations estudiantines ont par ailleurs eu lieu au Champ-de-Mars la semaine dernière pour protester contre la présence de la MINUSTAH. Les étudiants de la Faculté d’ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) ont exigé le dédommagement des victimes du choléra, en plus du retrait définitif des forces de l’ONU. D’anciens militaires sont également venus parader en uniforme afin de réclamer le retour de l’Armée d’Ayiti — démobilisée en 1994 —, déposant du même coup un document à cet effet au Palais national.
Le Champ-de-Mars, où logent une dizaine de milliers de déplacés depuis le séisme du 12 janvier, avait été interdit d’occupation par les autorités la veille. La centaine de manifestants a été dispersée par la PNH au moyen de gaz lacrymogènes, importunant les déplacés d’une part, et perturbant le fonctionnement de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti adjacent. Réfugiés dans l’enceinte de la Faculté d’ethnologie de l’UEH et répliquant à l’aide de jet de pierres et de barricades de pneus enflammés, les manifestants ont rapidement été encerclés par les forces de l’ordre et par… la MINUSTAH.
Un sondage mené sur Internet par l'agence de presse Haïti Press Network (HPN) établit à ce jour que près de 64% des répondants croient qu'Haïti peut maintenant se passer de la force de maintien de la paix de l'ONU, qui devait originellement, en 2004, rester en place pour six mois, le temps que ne retombe la poussière soulevée par l'insurrection de groupes armés dans le Nord de la République et par le départ hâtif d'un Jean-Bertrand Aristide qui laissait le pays aux mains d'un gouvernement intérimaire n'ayant d'autre choix que de demander l'assistance de la communauté internationale.
Les presque deux tiers des 1900 répondants — des gens lettrés et ayant accès à Internet au pays, mais aussi à l'extérieur, s'entend — croient donc que le pays est en mesure de se débrouiller seul pour gérer l’instabilité et l’insécurité chroniques de la République. Ou du moins qu’il est capable de le faire dans des proportions semblables à celles du travail accompli par la MINUSTAH. Cette dernière, dont le budget de fonctionnement est fixé à plus de 850 millions de dollars par année — dont quelques millions s’ajoutent annuellement à dette extérieure d’Ayiti — assure entre autres le renforcement des capacités étatiques en termes d’état de droit et de justice, en plus de fournir un appui à la professionnalisation du corps policier local (la Police nationale d’Haïti (PNH)) et de contribuer à l’amélioration d’infrastructures — routes, postes de police et postes frontaliers, pénitenciers, etc.
Le coup de sonde ne reflète cependant pas l’opinion du président Martelly, qui déclarait cette semaine au Nouvelliste que le retrait de la MINUSTAH «doit être réalisé et réalisable à partir du moment où [une] force [nationale] peut jouer le rôle de la MINUSTAH», ajoutant que «la MINUSTAH travaille pour le peuple d'Haïti et pour Haïti, [qui a] besoin de l'ordre, de la paix afin d'avancer dans le développement économique»… Le président ayisien, qui avait promis en campagne électorale la création d’une force de défense nationale armée, demeure donc patient et semble a priori miser sur un «retrait graduel» de la force de maintien de la paix de l’ONU, dont le mandat doit théoriquement être renouvelé à la mi-octobre — les protestations sont donc encore à anticiper...
Une prise de position qui concorde avec le plus récent rapport de l’ONG International Crisis Group, Keepin Haiti Safe : Police Reform, qui soutient que le chemin à faire est encore important pour que la PNH puisse prendre le relai de la MINUSTAH et que soient sécurisées les frontières terrestres et maritimes contre le crime organisé, la drogue, le trafic d'armes et la traite des humains et que prenne fin le règne de l’arbitraire devant la loi. Les progrès enregistrés ont été fragilisés par le séisme du 12 janvier, poursuit le rapport, et la réforme des capacités institutionnelle et opérationnelle doit se poursuivre afin d’amoindrir la vulnérabilité du pays face aux crimes violents, à la corruption et à l’instabilité politique. Mais la paix peut-elle réellement cohabiter avec l’extrême pauvreté? Et qu’est-ce qui vient en premier dans ce cercle vicieux, la stabilité sociale ou le développement économique?
Pour adresser ces questions fondamentales, il faudra aller plus loin que les revendications nationalistes liées à un retrait hâtif de la MINUSTAH. Il faudra notamment une volonté politique marquée, que le président ne peut porter seul. Et c’est là que le bât blesse : comment, dans un pays aussi politiquement divisé et aussi habitué aux jeux de coulisse peu transparents et intéressés, faire en sorte que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire travaillent main dans la main pour [re]construire Ayiti? C’est là un apprentissage que le pays en entier devra faire : apprendre à travailler dans l’intérêt de la population au sens large afin que cette dernière retrouve un minimum de confiance envers ses institutions…
La «rumeur» a rapidement fait le tour du pays — et du monde — grâce au Dieu Youtube qui voit tout, sait tout et entend tout, même les gémissements les plus sordides d'un jeune garçon à qui on vole tout ce qu'il a d’avenir devant lui — tsé, la dignité? Les médias nationaux et internationaux ont rapidement relayé la nouvelle, ajoutant l'insulte à l'injure pour la famille du désormais plus mineur et identifié, non plaignant mais à plaindre, Jean.
Le scandale fait suite à une série d’histoires et de rumeurs peu reluisantes pour l'image et la réputation de la force de maintien de la paix de l'ONU. L'introduction dans l’île du choléra en octobre 2010, notamment, que de nombreux observateurs attribuent à grands coups de conditionnel au contingent népalais de la MINUSTAH basé à Mirebalais. Les représentants de la MINUSTAH refusent toutefois d’assumer la responsabilité, voire de s’excuser — que faire de plus maintenant que le mal est fait et que son spectre revient chaque fois qu’il pleut? —, arguant que la souche du bacille vibrio cholerae, très, très, très semblable à celle que l’on retrouve en Asie, est le fait d’une «convergence de circonstances» épidémiologiques, environnementales et sanitaires — selon les conclusions de nombreux experts — et que les plus de 5500 décès et 400 000 personnes touchées ne peuvent être attribués aux casques bleus, faute de «preuve scientifique» irréfutable…
À ces deux scandales d’envergure majeure s’ajoutent les impressions et rumeurs de la population sur les actes de la MINUSTAH. «Volè kabrit», disent tout bas plusieurs Ayisiens au passage des convois de la force de stabilisation, en référence à des histoires de vol de chèvre — un investissement dans un pays où plus de 78% de la population vit avec moins de deux dollars par jour — destinées au barbecue des soldats qui ont aussi la réputation d’envahir les plages et de se donner corps et âme à la fête au premier jour de congé venu. D’où la réputation de «MINUSTAH tourista» : l’Ayisien moyen ne voit malheureusement pas l’impact direct de l’intervention onusienne sur sa vie de tous les jours et tend plutôt à percevoir cette dernière comme une occupation, comme une perte de souveraineté nationale.
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Des manifestations estudiantines ont par ailleurs eu lieu au Champ-de-Mars la semaine dernière pour protester contre la présence de la MINUSTAH. Les étudiants de la Faculté d’ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) ont exigé le dédommagement des victimes du choléra, en plus du retrait définitif des forces de l’ONU. D’anciens militaires sont également venus parader en uniforme afin de réclamer le retour de l’Armée d’Ayiti — démobilisée en 1994 —, déposant du même coup un document à cet effet au Palais national.
Le Champ-de-Mars, où logent une dizaine de milliers de déplacés depuis le séisme du 12 janvier, avait été interdit d’occupation par les autorités la veille. La centaine de manifestants a été dispersée par la PNH au moyen de gaz lacrymogènes, importunant les déplacés d’une part, et perturbant le fonctionnement de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti adjacent. Réfugiés dans l’enceinte de la Faculté d’ethnologie de l’UEH et répliquant à l’aide de jet de pierres et de barricades de pneus enflammés, les manifestants ont rapidement été encerclés par les forces de l’ordre et par… la MINUSTAH.
Des manifestants fuient les forces de l'ordre (Ramon Espinosa, AP) |
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Un sondage mené sur Internet par l'agence de presse Haïti Press Network (HPN) établit à ce jour que près de 64% des répondants croient qu'Haïti peut maintenant se passer de la force de maintien de la paix de l'ONU, qui devait originellement, en 2004, rester en place pour six mois, le temps que ne retombe la poussière soulevée par l'insurrection de groupes armés dans le Nord de la République et par le départ hâtif d'un Jean-Bertrand Aristide qui laissait le pays aux mains d'un gouvernement intérimaire n'ayant d'autre choix que de demander l'assistance de la communauté internationale.
Les presque deux tiers des 1900 répondants — des gens lettrés et ayant accès à Internet au pays, mais aussi à l'extérieur, s'entend — croient donc que le pays est en mesure de se débrouiller seul pour gérer l’instabilité et l’insécurité chroniques de la République. Ou du moins qu’il est capable de le faire dans des proportions semblables à celles du travail accompli par la MINUSTAH. Cette dernière, dont le budget de fonctionnement est fixé à plus de 850 millions de dollars par année — dont quelques millions s’ajoutent annuellement à dette extérieure d’Ayiti — assure entre autres le renforcement des capacités étatiques en termes d’état de droit et de justice, en plus de fournir un appui à la professionnalisation du corps policier local (la Police nationale d’Haïti (PNH)) et de contribuer à l’amélioration d’infrastructures — routes, postes de police et postes frontaliers, pénitenciers, etc.
Le coup de sonde ne reflète cependant pas l’opinion du président Martelly, qui déclarait cette semaine au Nouvelliste que le retrait de la MINUSTAH «doit être réalisé et réalisable à partir du moment où [une] force [nationale] peut jouer le rôle de la MINUSTAH», ajoutant que «la MINUSTAH travaille pour le peuple d'Haïti et pour Haïti, [qui a] besoin de l'ordre, de la paix afin d'avancer dans le développement économique»… Le président ayisien, qui avait promis en campagne électorale la création d’une force de défense nationale armée, demeure donc patient et semble a priori miser sur un «retrait graduel» de la force de maintien de la paix de l’ONU, dont le mandat doit théoriquement être renouvelé à la mi-octobre — les protestations sont donc encore à anticiper...
Une prise de position qui concorde avec le plus récent rapport de l’ONG International Crisis Group, Keepin Haiti Safe : Police Reform, qui soutient que le chemin à faire est encore important pour que la PNH puisse prendre le relai de la MINUSTAH et que soient sécurisées les frontières terrestres et maritimes contre le crime organisé, la drogue, le trafic d'armes et la traite des humains et que prenne fin le règne de l’arbitraire devant la loi. Les progrès enregistrés ont été fragilisés par le séisme du 12 janvier, poursuit le rapport, et la réforme des capacités institutionnelle et opérationnelle doit se poursuivre afin d’amoindrir la vulnérabilité du pays face aux crimes violents, à la corruption et à l’instabilité politique. Mais la paix peut-elle réellement cohabiter avec l’extrême pauvreté? Et qu’est-ce qui vient en premier dans ce cercle vicieux, la stabilité sociale ou le développement économique?
Pour adresser ces questions fondamentales, il faudra aller plus loin que les revendications nationalistes liées à un retrait hâtif de la MINUSTAH. Il faudra notamment une volonté politique marquée, que le président ne peut porter seul. Et c’est là que le bât blesse : comment, dans un pays aussi politiquement divisé et aussi habitué aux jeux de coulisse peu transparents et intéressés, faire en sorte que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire travaillent main dans la main pour [re]construire Ayiti? C’est là un apprentissage que le pays en entier devra faire : apprendre à travailler dans l’intérêt de la population au sens large afin que cette dernière retrouve un minimum de confiance envers ses institutions…
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